Burn out ou le blues de l’employé?

30 novembre 2014

Burn out ou le blues de l’employé?

Ces dernières années, le monde des entreprises tend à donner une seul définition du mal-être au travail : le burn- out, souvent très rapidement assimilé à la dépression. Dans l’écrasante majorité des cas, on réplique à ce mal-être d’une seule manière – par le traitement médicamenteux. Une interaction tacitement consensuelle se crée ainsi entre trois protagonistes que cette médicalisation et psychiatrisation de la souffrance au travail semble parfaitement arranger.

Dans ce consensus à trois, nous trouvons en premier lieu (on s’en doute déjà), l’inévitable industrie pharmaceutique qui, productrice des comprimés présentés comme indispensables, réalise, grâce à la souffrance psychosociale, des profits colossaux. Viennent ensuite les deux principaux acteurs du processus du travail : les employeurs et les employés, deux catégories dont chacune, pour ses propres raisons, a intérêt à étiqueter tout mal-être comme burn- out touchant à la dépression – les premiers pour avoir à traiter des cas isolés plutôt qu’à entreprendre à améliorer les conditions du travail dont ils sont les responsables et les seconds, les salariés – pour avoir au moins la consolation de souffrir d’une maladie « reconnue » et non pas « orpheline » et n’avoir pas à subir les terreurs d’un mal inconnu.

Peine diagnostiquée est à demi soulagée, De nos jours, les salariés concernés semblent eux-mêmes préférer qu’on leur « découvre » une maladie d’ordre clairement psychiatrique, plutôt que d’être renvoyés à leur tristesse et être laissés seuls, sans la compagnie rassurante du médecin, dans le vaste terrain vague – vague, glaiseux et glissant – de leurs états d’âme indéfinis. Au chagrin qui, du coup, apparaît comme un mal faussement innocent mais qui semble cacher des souffrances secrètes, on semble préférer la pathologie psycho- physiologique scientifiquement bien identifiée et médicalement traitable.

Burn out ou le blues de l'employé?Mais cette substitution intentionnelle d’un mal par un autre qu’acceptent tacitement à la fois les employeurs et les employés, ce jeu de substitution, il a ses limites. Il a aussi ses conséquences dramatiques. Les suicides au travail qui ont secoué le monde occidental ces dernières années en furent, pour une grande partie d’entre eux, le résultat direct. Les employés qui ont atteint à leur vie sur leur lieu de travail même (notons ce dernier détail si lourd de signification !) étaient des personnes qui pouvaient largement bénéficier du système d’aide psychologique et psychiatrique de leur entreprise, et l’ont sans doute fait pendant un temps avec espoir et confiance. Elles se sont peut-être fait traiter comme victimes de burn-out ou dépression cachant ainsi aux autres comme aussi à eux-mêmes leurs vraies interrogations et préoccupations. Et celles-ci étaient souvent, loin de toute pathologie proprement dite, des préoccupations purement humaines, d’ordre éthique, moral et relationnel. Dans la lettre qu’il a adressée à ses chefs et à ses collègues avant de se donner la mort, un employé de la poste (en France) avait écrit qu’un peu de reconnaissance lui aurait suffi pour avoir la force de continuer. Au lieu de cela, on lui a proposé de l’aide psychologique. C’est tout dire…

Par mon propre propos ici, je ne veux nullement nier l’existence du burn-out. Le syndrome de l’épuisement professionnel n’est que, malheureusement, très répandu dans l’univers du travail et notre magazine a souvent parlé de ce problème (je renvoie le lecteur, plus particulièrement, à l’article « Du stress au burn- out » de Virginie Terrier). Mais comme je l’ai souligné plus haut, cet épuisement n’est pas la seule détresse au travail, comme on veut souvent nous le présenter, au dépens d’autres souffrances professionnelles. Même s’il se présente comme un simple « blues », le mal-être causé par l’incompréhension et la mésestime dans un monde où l’on ne remercie que quand on congédie, peut avoir, lui aussi (comme je l’ai mentionné plus haut) des conséquences dramatiques. Même encore plus dramatiques que le fameux burn-out.

Des conséquences qui peuvent être évitées si seulement les employeurs comme les employés acceptaient que tout mal n’est pas forcément physiologique ou psychiatrique; que parfois il n’est même pas de nature psychologique. On a tous intérêt à abandonner notre fascination du traitement médicamenteux et d’admettre – à temps, et non pas tardivement ! – que parfois notre mal-être a beaucoup plus à voir avec la morale et l’éthique du travail qu’avec la psychologie, que les causes qui le provoquent s’enracinent beaucoup plus dans le relationnel que dans l’intensité du travail et le stress qui l’accompagne. Et que, de part et d’autre, on ne perd pas de vue ceci: deux mots d’encouragement venant du responsable hiérarchique peuvent être suffisants pour conjurer la démotivation et dissiper le blues – le blues de l’employé.

Dessy Damianova – Rédactrice pour le magazine Le Monde Economique

 

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