Ceux qui sont nés en même temps que la société de consommation vont bientôt prendre leur retraite ! Des femmes et des hommes qui étaient pratiquement toujours allés de découverte en découverte s’apprêtent à entamer cette étape de leur vie où ils disposeront de la seule chose qui leur avait manqué jusqu’alors pour que leur curiosité de nouveaux goûts, de nouvelles émotions, de nouveaux savoirs se soit laissé pleinement flatter et satisfaire : le temps libre, évidemment.
Car l’argent, ils l’ont. L’assurance vieillesse, le système de prévoyance y compris de prévoyance professionnelle ainsi que la constitution d’un troisième pilier ont fait très sensiblement reculer la précarité et ont révolutionné la manière de vivre l’âge de la retraite.
En Suisse Romande comme partout en Suisse et en Occident, la vieillesse se vit tout autrement qu’un demi-siècle auparavant. Et il ne faut pas attendre l’arrivée des véritables baby-boomers à la retraite pour constater que le troisième âge est déjà entré dans le deuxième millénaire avec sérénité, confiance et dynamisme.
Les enfants des années 40 et 50 sont en train de révolutionner l’image de la soi- disante vieillesse et de pulvériser les clichés qui enchaînent celle-ci à l’idée de pauvreté, d’impuissance, de maladie et de mort imminente. Mais cette évolution était sensible déjà dès les années 80. En 1983, M. Poullain écrivait que « les gens du troisième âge… représentent dans la conjoncture économique et sociale l’un des éléments les plus actifs du marché ».
Au solide pouvoir d’achat évoqué plus haut répond, chez ces sexagénaires et très souvent chez les actuels septuagénaires un appétit accru de consommation. Une consommation qui a ses spécificités : rarement impulsive et compulsive comme elle l’est souvent dans la jeunesse et même dans l’âge adulte, chez les seniors, l’utilisation de biens et de services est de loin plus raisonnée, sélective et exigeante. L’aîné(e) y affirme des choix bien établis et plus encore – y affirme sa personnalité. A cette demande de singularisation et de « sur mesure » de la part d’une clientèle de seniors devenue de plus en plus importante – tant de point de vue du nombre que des moyens – les offres affinées émanant des PME seront de plus en plus recherchées et prisées.
C’est encore dans cette même recherche du spécifique et de l’authentique que s’inscrit l’intérêt particulier que les « mamy- » et les « papy- boomers » portent aux produits alimentaires de terroir, ce qui, sans les détourner des grandes surfaces, fait d’eux des clients fidèles du marché et des commerces de proximité. Le plaisir de la bonne nourriture reste d’ailleurs parmi les satisfactions qui ne s’émoussent pas avec l’âge : tout au contraire, après avoir pendant de longues années été réduite à sa fonction de sustentation et avoir été censée entretenir avant tout en bonne forme un organisme obligé à supporter la charge, le rythme et le stress d’un travail exigeant, dans les dernières décennies de la vie, l’alimentation semble retrouver un côté plus purement sensoriel et sensuel. C’est avant tout pour se faire plaisir que la personne âgée mange. Certains psychologues freudiens y décèlent un renouement que l’aîné effectue inconsciemment avec les toutes premières années de sa vie et, aussi paradoxalement que cela puisse paraître à cet âge avancé – une restitution du contact avec la mère et le milieu nourricier originel.
Mais à part la nourriture- plaisir, l’intérêt des seniors se porte sur la diététique qui, ensemble avec une consommation considérable d’eau minérale, atteste d’un souci marqué pour l’entretien de la bonne forme et d’une claire aspiration à la longévité. Et lorsque l’on ajoute, pour ce qui est plus spécifiquement des dames de cet « âge certain », le constat d’une utilisation accrue de produits cosmétiques, on est déjà sûr d’être bien loin de l’image de la veuve solitaire qui se délaisse et néglige dans l’attente d’une mort- délivrance. En effet, le pic de la consommation de cosmétique se situe désormais entre 45 et 70 ans tandis que les Européennes de plus de 60 ans représentant à elles seules 34% du marché des soins du visage.
En somme, ne se résignant plus à la solitude comme à une fatalité, les gens à la peau légèrement plus desséchée restent en effet pleins de vigueur et représentent une clientèle bien juteuse pour des domaines du marché aussi nombreux qu’inattendus et divers. Acteurs dynamiques de la demande et de la consommation dans les branches des produits alimentaires et de la cosmétique, ils n’en font pas moins le bonheur des agences de voyage et des sites de rencontres sur l’Internet. Les « mamy » et les « papy » sont d’autre part de fervents acheteurs de jouets et de jeux, marché sur lequel ils sont prêts à débourser des sommes importantes : rien n’est suffisant pour gâter les chouchous et œuvrer à ne pas se faire oublier par leurs petites têtes blondes (ou brunes).
Le marché de l’édition peut à son tour profiter du « papy- boom » : la lecture n’est point dédaignée par les retraités et l’on note que le temps de la lecture s’accroît avec l’âge pour atteindre 39 minutes par jour en moyenne à plus de 75 ans. Mais les seniors peuvent être aussi d’authentiques contributeurs à l’édition : entrés dans âge des souvenirs et de « la recherche du temps perdu », beaucoup d’entre eux s’adonnent à l’écriture en général et à l’écriture de mémoire en particulier. Leurs souvenances personnelles peuvent parfois heureusement converger avec témoignages d’époque ou d’une histoire plus ou moins récente, ce qui peut contribuer d’une manière inestimable à la recherche historique de demain…
D. Damianova rédactrice chez Le Monde Economique