La Suisse est entourée de pays Européens avec lesquels il existe une collaboration accrue, notamment sous l’angle des rapports de travail. Ainsi, une entreprise localisée dans un canton proche et/ou limitrophe d’une frontière – à titre d’exemple, Genève par rapport à la France – compte systématiquement, parmi ses collaborateurs, des frontaliers. Or, on constate en pratique que l’entreprise n’est souvent absolument pas au fait d’éléments juridiques d’importance et ce, tant sous l’angle procédural que du droit de fond. La présente contribution traitera, respectivement, d’un point de procédure et d’un point de fond choisis.
Le Monde Economique : Qu’en est-il sous l’angle de la procédure ?
Me Philippe Eigenheer : De nombreuses questions et problèmes se posent. Un point de la plus haute importance, souvent méconnu des entreprises, est le for, soit le Tribunal compétent à raison du lieu pour connaître d’une action qui présente un élément d’extranéité. On pense par exemple à une action judiciaire qui serait initiée par l’employeur contre l’employé : quel est le Tribunal compétent ?
Le Monde Economique : vous faites référence, ici, au cas où l’employeur domicilié en Suisse entend ouvrir action contre l’employé, frontalier, par hypothèse, domicilié en France ?
Me Philippe Eigenheer : Exactement. Dans un contexte national, la situation est claire, dès lors que les règles du droit interne prévoient un for alternatif, soit au domicile du défendeur, soit au lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle. En revanche, dans un contexte international – cas de l’employé domicilié en France, mais exerçant son activité en Suisse – la Convention de Lugano, applicable dans ce cas de figure, prévoit que l’action de l’employeur ne peut être portée que devant les Tribunaux de l’Etat lié par ladite Convention, sur le territoire duquel le travailleur à son domicile.
En clair, cela signifie que l’employeur pourra ouvrir action, dans l’exemple choisi, exclusivement en France.
Le Monde Economique : Qu’en est-il de l’employé ?
Me Philippe Eigenheer : La différence est de taille, dans la mesure où au contraire de l’employeur, l’employé pourra toujours ouvrir action en Suisse.
Le Monde Economique : Ne doit-on pas voir en cela une inégalité de traitement manifeste ?
Me Philippe Eigenheer : Evidemment, la partie faible au contrat – l’employé – doit bénéficier d’une protection accrue. Cela étant, bon nombre d’auteurs estiment que la Convention de Lugano va trop loin et qu’elle doit être révisée sur ce point.
Le Monde Economique : Cela dit, cette problématique n’est-elle pas plus théorique que pratique, quand on sait qu’il est possible de prévoir d’un for contractuellement, d’accord entre les parties ?
Me Philippe Eigenheer : Non, justement, pas. Si la majorité des entreprises prévoient ce type de clause dans leurs contrats, elles ne savent souvent pas que ladite clause n’est pas valable. En effet, une dérogation conventionnelle à la règle de protection du travailleur rappelée ci-dessus n’est admise que si elle est postérieure à la naissance du différend et qu’elle élargit l’éventail de fors mis à sa disposition. Or, on voit mal, en présence, justement, d’un différend, le travailleur accepter de signer une clause de prorogation de for qui aurait pour effet de le contraindre à subir un procès ailleurs que dans son pays de domicile.
Le Monde Economique : Et sous l’angle du droit de fond ?
Me Philippe Eigenheer : Un exemple d’importance parmi d’autres est celui de l’obligation de l’employeur d’assurer l’employé en cas d’accident, l’assurance accident étant obligatoire en Suisse. Or, peu d’entreprises savent que dans le cas où le travailleur frontalier exerce, à côté de son emploi, une activité accessoire égale ou supérieure à 25% dans son pays de domicile – in casu, la France – il est, en application de dispositions de droit Européen applicables en Suisse, assujetti à l’assurance accident dudit pays et non en Suisse.
Ainsi, l’employeur Suisse n’a pas à l’assurer à l’assurance obligatoire en cas d’accident en Suisse et, partant, n’a pas à payer les charges sociales y relatives. Sur le plan pratique, cela ne va évidemment pas, une fois que la situation juridique est connue par l’employeur, sans poser de problèmes, s’agissant notamment du remboursement des primes déjà payées, etc.
Conclusion
Les rapports internationaux présentent souvent des situations juridiques complexes, peu connues des entreprises. En présence d’éléments d’extranéité au contrat (cf. notamment, travailleur frontalier, etc), une consultation auprès d’un spécialiste avant de conclure le contrat peut éviter les mauvaises surprises.