Par Marie Gabrielle Cajoly
Dans la tête de Warren Buffett… (ou ce que l’on pourrait y trouver !)
87 ans… Susie m’a dit qu’il est temps de penser à rédiger mes Mémoires. Elle a toujours un coup d’avance, ma Susie, et toujours peur pour moi. Quelle idée farfelue d’expliquer à la presse que je ne stocke pas de piles de Coke chez moi ! Pire, de revendiquer que je paie moi-même ce que je bois ! Pousser ma fille à se faire mon avocate publiquement sur des rumeurs…quel coup de maître de journaliste. ça n’aura servi qu’à attiser les mauvaises langues ; celles qui me disent le magnat de Wall Street qui achète tout à prix de gros. Tout le monde sait que je bois cinq canettes de Coke par jour et que je suis – enfin que Berkshire Hathaway est – le plus gros actionnaire de The Coca-Cola Company. De là à croire qu’un pipeline de Coke m’approvisionne gracieusement du QG du géant d’Atlanta à mon salon d’Omaha, quelle naïveté.
The CCC et moi, c’est tout simplement une histoire d’enfance. A sept ans, je vendais mes premières canettes en culotte courte et au porte-à-porte. Quel bilan aujourd’hui ? Pour Berkshire, c’est 15 milliards de dollars de gains en 25 ans, sans compter les dividendes. Cela valait bien que je leur donne un petit coup de pouce pour le lancement du Cherry Coke en Chine. Mon visage sur des canettes et les bouteilles de 500ml, tout de même, il a fait fort ce bon vieux Kent[1]; sans compter que je raffole du Coke à la cerise. Décidément, cela valait que je cède mes droits d’image. Je le revendique : prendre des participations dans une affaire, c’est bien. Miser sur son potentiel à 15-20 ans et sur un produit qu’on aime viscéralement, c’est mieux !
La prise de risques fait partie du métier. D’ailleurs, tout « oracle d’Omaha » que je sois, j’ai bu quelques tasses. Avec ConocoPhillips en 2008, par exemple. Je me suis jeté comme un débutant sur cette action, et dans l’action !, quand le prix du pétrole était au plus haut sans voir venir la chute vertigineuse des cours qui a frappé la fin d’année. Qui l’aurait vue ? Ce bon vieux Charlie[2] peut-être, si je l’avais consulté. Allons, mieux vaut des remords que des regrets. Comme au bridge, on croit jouer un coup de maître et on perd la mise. Bon investisseur bon joueur, il faut savoir encaisser et se refaire. Il suffit parfois d’attendre. « Apprenez lui le courage d’être impatient et la patience d’être courageux », écrivait Abraham Lincoln au professeur de son fils. Dix ans plus tard, les prix du pétrole se ré-envolent. 50% de hausse au seul premier semestre 2018. Un prix du baril au plus haut depuis plus de deux ans. Sacrée OPEP et sacrée Russie !
En parlant de bridge, Bill[3] devrait arriver d’un instant à l’autre. On a une partie en cours. Je n’ai toujours pas convaincu ce bon vieux Charlie[4] de signer le « Giving Pledge ». A quoi bon ? Il n’y croit pas mais on se rejoint sur l’objectif final : nos filiales baignent dans l’esprit philanthropique et notre philanthropie est baignée de notre esprit d’entreprise. D’aucun appelle cela le philanthro-capitalisme. Moi je ne théorise pas. La voix de ce cher JFK résonne encore à mes oreilles et j’adapte : « Ne vous demandez pas ce que la société peut faire pour votre entreprise mais ce que votre entreprise peut faire pour la société. » Avec Mark et Priscilla[5], on sait que la relève est là et le passage de témoin déjà assuré. Pas mal leur lettre au petit Max : une promesse de don à l’humanité à hauteur de 99% de leurs actions Facebook au cours de leur vie. En 2015, cela faisait 45 milliards de dollars ; joli geste pour fêter sa naissance. Après +120% de hausse en 2018, ça fait une donation prospective tout à fait rondelette pour les trois ans du petit. Evidemment, le tout est de savoir comment allouer et canaliser ces fonds. Ce n’est pas tout de donner, il faut administrer. D’ailleurs, pas mal son idée de société anonyme plutôt qu’une fondation à but non lucratif. Au moins, il reste en contrôle de son capital, à toute fin charitable celui-ci soit-il destiné. Et encore mieux, ça ne l’y limite pas. Une SA peut bien investir comme bon semble à son créateur, et selon des règles de saine rentabilité. Ses 3 millions injectés immédiatement pour lutter contre la crise du logement dans la Silicon Valley, par exemple, voilà qui fait évidemment sens vu de la « board room » du siège de Menlo Park. Il pousse la logique du modèle philanthro-capitaliste de façon intéressante, le jeune Mark. Mais de quoi je m’étonne ? L’innovation est son Credo et il n’est pas Millénium pour rien. Affaire à suivre, donc !
Tiens, j’entends Bill qui arrive. On va pouvoir reprendre la partie.
« Memoirs of a Stockbroker », pourquoi pas finalement ? Elle a raison ma Susie, Mungo Jerry l’a bien chanté dans les années 1970 déjà…
[1] Muhtar Kent, Président & PDG de Coca-Cola
[2] Charlie Munger, Vice-Président de Berkshire Hathaway
[3] Bill Gates, co-fondateur de Microsoft Corporation, The Bill & Melinda Gates Foundation et le « Giving Pledge »
[4] Charlie Munger, Vice-Président de Berkshire Hathaway
[5] Priscilla Chan et Mark Zuckerberg, fondateur et CEO de Facebook pour l’un, et co-fondateurs de la Chan Zuckerberg Initiative