Tout le monde a fait au moins une fois l’expérience : les assauts répétés d’une armée de télévendeurs dont la mission est de vous proposer ce dont vous n’auriez osé rêver, et cela au pire moment de la journée…
En Suisse, il n’existe toujours pas de législation claire pour sanctionner la pratique du démarchage au téléphone. Pourtant, le marché représente à peu près cinquante millions d’appels par an. Il existe des modes de démarchage pour les titres de presse, les opérateurs de téléphonie, mais aussi le vin, les appareils ménagers, jusqu’aux dessous féminins…
Face à l’excès, le parlement avait promis de s’attaquer au démarchage téléphonique mais cet effort ne semble pas avoir porté ses fruits, puisqu’à ce jour le secteur ne répond à aucun code éthique particulier.
Il existe bien un code moral, mais il n’est reconnu à ce jour par aucun organe fédéral. La plupart des centres d’appels opérant en Suisse sont représentés par Callnet.ch.
Tous ses membres s’engagent à protéger les données des clients appelés, à répondre à des principes de clarté et de vérité au lancement d’un appel, à ne pas appeler en dehors des heures habituellement permises, et à éviter les formules de vente dites trop suggestives, voire agressives. La plupart du temps, ces critères semblent respectés. Les caisses maladie sont en première ligne puisqu’elles aussi pratiquent régulièrement le démarchage au téléphone. En ce qui les concerne, trois lacunes existent dans le code de conduite :
– Premièrement, la fréquence des appels n’y est nullement mentionnée, et c’est pourtant cette fréquence qui fait l’objet du plus grand mécontentement. Un exemple simple peut le prouver : un client a beau demander avec empressement à son interlocuteur que son nom soit rayé de la liste, la plupart du temps cela n’a aucun effet et les appels ne cessent que le jour où une plainte en bonne et due forme est déposée… Une plainte qui n’aboutit jamais, la procédure étant très compliquée. Les démarcheurs ne sont ainsi jamais sanctionnés. Mais, au fond, où se situe véritablement la limite entre harcèlement et agressivité ? Au premier abord, cette frontière semble délicate à tracer… Aucune législation ne la délimite.
– Deuxièmement, une question de fond s’impose : peut-on spéculer sur des questions qui relèvent de la santé par la magie d’un entretien téléphonique qui n’excède jamais plus de cinq minutes ?
« Oui », rétorquent les call centers mandatés par les assureurs, puisque l’assentiment oral du démarché ne conduit qu’à un dialogue, voire à un conseil, qui n’engage pas la personne démarchée à changer quoi que ce soit dans l’édifice de ses prestations. Mais la parade semble là toute trouvée, et insatisfaisante, le conseiller ne recherchant pas la distraction, mais la réussite de l’opération de courtage.
L’assentiment oral est également sujet à caution. Certaines personnes n’ont pas la force de refuser ou de contrevenir au marché proposé, ou quelquefois n’ont pas la possibilité par incompréhension de la langue. Mais le mal est fait, un accord oral a la même valeur qu’un contrat signé.
– Ce qui nous amène au troisième point : en Suisse, la possibilité de se rétracter n’est pas sérieusement encadrée. Il n’existe à ce jour aucune disposition claire. En Allemagne, une loi sans équivoque est entrée en vigueur en 2009. Tout contrat conclu par téléphone peut être annulé par le client. Le télémarketing déloyal est sanctionné d’une amende pouvant atteindre 10000 euros dès la simple utilisation de numéros masqués…
Cette législation peut paraître un peu excessive. Mais les nombreuses plaintes face à un phénomène qui avait pris trop d’ampleur a poussé les associations de consommateurs à y mettre un frein. La liste n’est pas exhaustive… La fédération romande des consommateurs tente depuis plusieurs années d’initier le même type de riposte. Pour le moment la FRC accuse l’espace politique suisse de ne pas se soucier du sujet.
La Confédération doit pourtant se prononcer. Soit elle accepte le démarchage téléphonique, et dans ce cas tout est clair et il devient inutile de revenir en arrière, soit elle n’accepte pas, et pose ses conditions. Les assureurs seraient alors contraints de revoir une partie de leur budget dévolue au démarchage.
Déjà pointées du doigt, accusées de ponctionner les plus fragiles quand il est parfois si difficile de joindre les deux bouts, les caisses maladie suisses ont tort de se lancer à tout crin dans des opérations de courtage qui ne les honorent pas et font le jeu des supporters de la caisse unique. Selon les Hôpitaux universitaires de Genève, dans un rapport récemment rendu public, 15% des Genevois ont préféré décliner certains soins de santé pour des raisons économiques entre 2008 et 2009.
Faustin Rollinat/Rédacteur chez Le Monde Economique