Dans les dernières années, une image très positive du « troisième » et du « quatrième » âge s’affirme dans l’espace public qui fait voler en éclats les stéréotypes du passé. La vieillesse non seulement ne rime plus avec pauvreté et dégradation fulgurante mais, plus fortunés que jamais et de plus en plus en recherche d’épanouissement personnel, les seniors, surtout en Occident, forment un marché juteux allant jusqu’à devenir un facteur de croissance économique.
Ce marché est en pleine expansion, à l’instar de la catégorie des aînés eux-mêmes : le nombre des personnes de plus de 65 ans devrait doubler d’ici à 2060 pour constituer 28,3% de la population. Pour la plupart, ce sont des personnes ayant passé leur vie dans la société de consommation dont leur mentalité et habitudes restent très marquées. La combinaison de cette mentalité de consommation et d’un très bon pouvoir d’achat rendent les seniors particulièrement intéressants aux yeux des marketeurs. L’économie qui se développe en réponse au marché des seniors est appelé « silver economy », terme anglais dont l’équivalent français sonne d’une manière encore plus significative, le mot argenté reflétant, en effet, la couleur grise des cheveux mais aussi la capacité monétaire accrue des gens de plus de 60 ans.
Les « troisième » et « quatrième » âges sont devenus plutôt agréables à vivre, ne serait-ce que par comparaison au passé. Plus encore – ils sont souvent définis comme une nouvelle vie qu’il s’agit d’inventer et de mener en toute dignité tout en profitant au maximum des biens de consommation et des acquisitions des nouvelles technologies. Des branches entières, telles la cosmétique, la pharmaceutique, le tourisme, le sport, la robotique se mettent au service de cette clientèle exigeante.
Un seul bémol dans cette vision somme toute très réjouissante d’une retraite argentée voire dorée : les aînés y sont vus seulement comme des clients et non point comme les sujets actifs de la « silver economy » qu’ils sont supposés impulser. Ni d’ailleurs dans les autres types d’activité. On les salue généreusement en tant que consommateurs de biens et de services mais on n’accepte pas qu’ils participent à la création de ces biens et services. Cela crée une inadéquation dans le traitement des seniors et renforce l’ambiguïté de leur situation – d’un côté, ils sont flattés et courtisés, et de l’autre, surtout quand il s’agit d’une chose aussi essentielle qu’est le travail, ils se trouvent rejetés. On peut imaginer que l’amertume de certains aînés face à cette situation doit être grande, et on peut la comprendre.
On peut aussi espérer que progressivement les choses vont changer dans un bon sens. Déjà, côté activité des gens du troisième âge, il y a quelques exemples encourageants voire véritablement inspirants à signaler. Certes, ils relèvent tous du monde des élites ainsi que d’une sphère d’activité qui est traditionnellement ouverte aux seniors : la politique. Mais l’apparition, ces dernières années, aux sommets de la politique mondiale, de femmes de plus de soixante ans, est déjà quelque chose d’essentiellement nouveau qui témoigne d’une bonne et juste évolution des choses. On peut aimer ou ne pas aimer la manière dont une Angela Merkel ou une Catherine Lagarde gèrent les affaires européennes ou internationales, mais on ne peut ne pas admirer leur motivation de se maintenir au sommet et d’aller jusqu’au bout de leurs aspirations. La toute récente campagne d’élection de Secrétaire général de l’ONU a de son côté donné une plus grande visibilité internationale à plusieurs dames- candidates au poste suprême qui, si aucune d’elles n’a finalement été élue (c’est le Portugais Antonio Guterres qui l’a remporté), s’étaient toutes montrées très brillantes – des femmes seniors véritablement « seigneuriales » ! Et, bien évidemment, il y a cette Hilary Clinton qui, si elle devient la première femme dirigeante des Etats-Unis, contribuera, on peut en être sûr, à rehausser, durant une présidence d’au moins 4 ans, l’image de la vieillesse féminine la présentant sous son aspect le plus actif, le plus dynamique et sans doute le plus glamoureux.
S’il est vrai que les tendances accusées dans les sphères des élites se répercutent plutôt rapidement sur les autres couches de la société, on peut croire que bientôt, on verra la femme « d’un certain âge » sous un meilleur jour et on acceptera qu’elle puisse être autre chose qu’une grand- maman poule ou une consommatrice acharnée de biens et de loisirs. Idem pour les hommes, bien sûr. On pourra accepter que les seniors puissent devenir des initiateurs de projets, de start-ups peut-être ou des dirigeants de leur propre entreprise. Et ce serait bien si à l’avenir on nous les montre sous ce jour-là plutôt que sous l’aspect de sujets passifs d’une économie qui ne s’intéresse à eux qu’en tant que clients et non point en tant que créateurs de biens.