Bonne nouvelle ! Le sujet des objectifs et, surtout, de leurs effets pervers est devenu un thème de débat, ce qui laisse entrevoir un début de prise de conscience. Car la fameuse théorie (qui constitue pour certains managers une véritable doctrine) du MBO (management by objectives), en français DPO (direction par objectifs) a fait, et continue à faire, des ravages au sein de bon nombre d’entreprises. Doit-on pour autant, à l’instar de certaines voix qui s’élèvent aujourd’hui, préconiser l’abandon pur et simple de la sacro-sainte fixation d’objectifs ?
Une simple lecture de la brève description que l’on trouve dans Wikipedia permet de constater qu’à la base, il y avait de bonnes raisons pour introduire cet outil de management. Mais qu’en a-t-on fait pour en arriver à le considérer comme un fléau ? Victime d’une terrible surenchère, le contrat d’objectifs a pris tous les attributs du cahier des charges. Des quantités astronomiques de buts à atteindre, détruisant toute vue d’ensemble pour le collaborateur et lui enlevant toute chance de réussite, puisqu’il est quasiment assuré de rater au moins un objectif sur l’ensemble.
Censé être un contrat résultant de discussions ouvertes entre la direction et les collaborateurs, la fixation des objectifs est bien trop souvent une cascade « top-down », qui plus est avec un effet multiplicateur : si l’entreprise, incarnée par le CEO, s’est fixé un objectif de 100, considéré comme « raisonnablement ambitieux », elle distribuera 110 à l’échelon 2 afin, vous l’aurez compris, de s’assurer l’atteinte voire le dépassement de son objectif. L’échelon 2 distribuera 120 à l’échelon 3 et ainsi de suite… Comment peut-on expliquer aux collaborateurs que le 100 « raisonnablement ambitieux » pour la direction se mue en 150 parfaitement faisable pour eux, sans perdre toute crédibilité ?
Et puis, il conviendra de « monitorer » l’évolution tout au long de l’année par les redoutables outils apportés par des systèmes informatiques en constante évolution. A une fréquence quasi-instantanée, la progression de chaque employé peut être suivie et commentée et, surtout, utilisée pour mettre la pression. Appelé dans certains cas « unité de production », le collaborateur est littéralement « taclé » au quotidien, sur un rythme qui n’a plus grand-chose d’humain.
Inutile de dire que cette évolution, qui a pris un effet d’accélérateur principalement ces 20 dernière années avec l’introduction systématique de la comptabilité analytique et les progrès fulgurants de l’informatique, a un effet dévastateur sur l’ambiance dans bon nombre d’entreprise : un stress insoutenable, dont les conséquences humaines (burn-out) sont bien entendu terribles pour les personnes touchées, mais également pour la performance des entreprises.
En effet, outre les absences dues à la chute de personnes littéralement « grillées », restent toutes celles qui ont perdu la foi, découragées par une mission impossible et qui ont baissé les bras : attention au « présentéisme », massif ! En outre, ce que l’on doit bien appeler « le harcèlement par objectifs » pousse à l’individualisme, destructeur pour le bon fonctionnement d’une entreprise. Mais, au-delà du mot « objectif », n’avons-nous pas tous besoin, pour avancer dans la vie, de nous fixer des buts ?
A l’instar des capitaines au long cours qui embarquaient avec leur équipage pour de longs périples avec, pour seul objectif, une ligne d’horizon et une idée plus ou moins précise de ce qu’ils allaient trouver derrière, il est indispensable que les entreprises donnent une perspective commune à tous, à laquelle chacune et chacun peut s’accrocher.
Alors, une ligne d’horizon oui, que nous pourrons appeler l’objectif, mais pas ce massacre organisé, cocktail de vision à court terme et de surenchère, qui pèse sur la bonne marche des entreprises.
Ce qui compte, finalement, c’est que les collaborateurs et leur management regardent tous dans la même direction.
Bernard Stoessel, Consultant pour le magazine Le Monde Economique et Associé Fondateur de BS MANAGEMENT