Par Eugénie Rousak
Si les mondes de l’entreprise et de l’éducation paraissent assez éloignés au premier abord, seules quelques années séparent la scolarité de la sphère professionnelle. La manière dont les enfants sont formés aujourd’hui aura un impact sur les salariés de demain. Ainsi, le rôle de l’école n’est plus d’enseigner à « lire, écrire, compter » comme il l’était au XIXe siècle, mais de former des citoyens d’une société future, qui auront les compétences et les outils adaptés pour comprendre leur environnement et l’améliorer.
Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), même si le nombre de résidents permanents en Suisse augmentera avec le temps, passant de 8,6 millions en 2019 à 10,4 millions en 2050, l’écart entre les personnes âgées de 65 ans ou plus et la population active se creusera encore. En 2019, pour 100 personnes actives de 20 à 64 ans, 35 personnes âgées de 65 ans ou plus ont été recensées. Ce chiffre atteindra 53 d’ici 2050. En parallèle, entre 2020 et 2050, la population active connaîtra une hausse de 12 %, selon le scénario de référence choisi. Ces chiffres montrent qu’une partie des salariés arriveront progressivement à l’âge de la retraite, laissant leurs postes aux individus qui sont actuellement sur les bancs de l’école. Ainsi, le monde professionnel de demain est infiniment tributaire des évolutions de l’éducation d’aujourd’hui, et les principes qui guident l’enseignement seront finalement les points d’ancrage de toute une génération.
L’enjeu de l’entreprise est également de comprendre ces évolutions, en adaptant son environnement aux besoins nouveaux des employés fraîchement arrivés sur le marché du travail. Ainsi, si la génération B des baby-boomers et la génération X des personnes nées avant 1980 étaient d’une grande loyauté envers leurs employeurs, avec une réelle motivation de la tâche accomplie, les milléniaux sont déjà moins enclins à sacrifier leur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, préférant avoir plus d’autonomie et de possibilités d’entreprendre. La génération Z, composée de jeunes actifs, qui est multi-identitaire et avide de changements rapides, rentrera bientôt en concurrence avec la génération Alpha, actuellement à l’école.
Nés après 2010, ces enfants sont les premiers à connaître et à utiliser depuis leur naissance les fonctionnalités d’Internet et les réseaux sociaux, le streaming ou encore les objets connectés. Cette génération de digital natives, la prochaine à affluer dans le monde du travail, se caractérisera probablement par un niveau d’instruction élevé, un grand besoin d’autonomie, un attachement relatif – car tout est en constante évolution – et une recherche de l’immédiateté dans tous les domaines. Ainsi, ces enfants n’ont plus le même fonctionnement dans le système éducatif et n’auront pas les mêmes besoins en tant que salariés.
Lorsque l’école est devenue obligatoire au XIXe siècle, cette décision a suscité une vague de résistance et d’opposition des parents. Deux siècles plus tard, l’école s’est développée en différents systèmes de certification, proposant des solutions diplômantes aux profils et besoins différents. Ainsi, en 2019, en Suisse, 90,9 % des jeunes ont obtenu un titre justifiant la fin du degré secondaire II, échelon scolaire après les années de l’école obligatoire, qui est aujourd’hui considéré comme le minimum pour entrer dans la vie active. L’objectif communément poursuivi par les institutions helvétiques est d’atteindre un taux de 95 %.
Pour arriver à ce niveau de formation, les étudiants suisses peuvent choisir entre trois parcours : maturité gymnasiale, école de culture générale ou formation professionnelle. Contrairement à leurs voisins français, majoritairement titulaires du diplôme de baccalauréat, les jeunes en Suisse privilégient la voie professionnelle. Même si la formation générale gagne en popularité ces dernières années, ils n’étaient que 34 % à choisir cette orientation en 2020.
L’objectif visé par le programme de scolarité au XIXe siècle, à savoir « lire, écrire, compter », est complètement dépassé aujourd’hui, l’école se donnant comme priorité de former les adultes qui composeront la société de demain. Ainsi, il n’est plus seulement question d’enseigner les matières théoriques comme les sciences, les mathématiques ou l’art, mais il s’agit également de donner une « vision hélicoptère » des enjeux politiques, sociaux et environnementaux du monde. Cette approche transdisciplinaire, présentée par le sociologue Edgar Morin dans Les Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, permet justement aux élèves de comprendre les problèmes contemporains dans leur globalité grâce aux ponts créés entre les différents savoirs et matières.
Ces années scolaires sont également fondamentales pour développer des « soft skills » telles que l’esprit critique, les qualités interpersonnelles, la curiosité intellectuelle, l’imagination, la recherche de solutions aux problèmes ainsi que les compétences, afin de pouvoir aussi bien travailler en autonomie qu’avec les autres. La notion d’éducation cocréative remet justement l’élève au cœur de son apprentissage, au grès de ses envies et selon ses centres d’intérêt, alors que les nouveaux outils numériques donnent une nouvelle accessibilité à l’information et aux ressources.
Allant dans ce sens, l’école est ainsi le premier échelon de la constitution technique, sociale et étique du salarié de demain.
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