Le 17 mai 2013, l’Union européenne et la Suisse ont signé un accord de coopération en matière d’application de leurs droits de la concurrence, qui est entré en vigueur le 1er décembre 2014 (JO n° L 347, p. 3). Contrairement à d’autres accords bilatéraux, comme celui sur la libre circulation des personnes, l’accord sur la concurrence ne prévoit pas l’application, par les autorités suisses, des règles de droit de l’Union[1] mais pose, plutôt, un cadre à la coopération administrative, en ce qui concerne l’adoption et la mise en œuvre des mesures de correction, ou de sanction, d’actes dits anticoncurrentiels[2].
Ces actes sont les comportements infractionnels au sens des articles 101, 102 et 105 du traité FUE du côté de l’Union, et de la Loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence de 1995 (LCart), du côté de la Suisse. Il s’agit, pour l’essentiel, de concentrations, de coordinations, de pratiques concertées et d’abus de positions dominantes.
Lorsque les autorités de concurrence, suisse ou européenne, adoptent des mesures de correction ou de sanction, elles les notifient, mutuellement, à condition que des ‘intérêts importants’ des parties contractantes soient affectés. Parmi les mesures d’application pouvant faire l’objet d’une notification l’on compte, notamment, les mesures prises à l’égard d’actes autres que des concentrations d’entreprises (art. 3, par. 2, a), des comportements considérés comme ayant été encouragés, exigés ou approuvés par une partie contractante (art. 3, par. 2, b), des mesures concernant une concentration dans laquelle une entreprise contrôle une, ou plusieurs, des parties à l’opération (art. 3, par. 2, d) et les actes anticoncurrentiels accomplis sur le territoire de l’une des parties contractantes (art. 3, par. 2, e).
En vue de réduire les incohérences dans l’application des droits de la concurrence, suisse et de l’Union, est prévue, à l’article 4 de l’accord, une coordination des mesures prises par les autorités de concurrence. Ces autorités sont encouragées à tenir compte de l’effet de cette coordination (art. 4, par. 2, a), de leur capacité à obtenir les informations nécessaires pour mettre en œuvre lesdites mesures (ar.t 4, par. 2, b) et de la possibilité d’éviter la création d’obligations contradictoires, ainsi que de charges inutiles, pour les entreprises (art. 4, par. 2, c).
Lorsque l’autorité de concurrence d’une partie contractante estime que des actes anticoncurrentiels commis sur le territoire de l’autre partie peuvent porter atteinte à ses intérêts, elle peut demander l’adoption de mesures adéquates (art. 6, par. 1). Cette demande doit être formulée aussi précisément que possible, en ce qui concerne la nature des actes anticoncurrentiels, et leurs effets, réels ou potentiels, sur les intérêts de la partie dont émane l’autorité requérante. L’on peut soutenir que l’accord en question est salutaire, bien qu’il se limite à seulement ‘structurer’ la coopération en matière de concurrence sur le plan administratif : l’honneur est sauf, la Suisse, pays tiers à l’Union, continue à appliquer son droit interne de la concurrence.
Toutefois, l’absence formelle d’obligation juridique d’appliquer les règles de concurrence européennes ne signifie pas que les autorités suisses doivent rester parfaitement ignorantes du droit de l’Union. Rappelons que l’article 23, paragraphe 1, i), ii), de l’Accord de libre-échange CH-UE de 1972, reprend, quasiment à la lettre, les articles 101, paragraphe 1, et 102, paragraphe 1, du traité FUE. Rappelons aussi que la 3ème réforme sur la fiscalité des entreprises a eu lieu en raison du fait qu’en 2007, la Commission européenne a qualifié certains régimes d’imposition suisses d’aides d’Etat, interdites en vertu de l’article 23, paragraphe 1, iii), de l’Accord de libre-échange.
Il s’ensuit que les autorités d’un pays-tiers, comme la Suisse, qui est entouré par le marché intérieur de l’Union européenne, pourraient difficilement méconnaître le droit en vigueur, et la jurisprudence de celle-ci, y compris dans les cas où des accords, comme celui sur la concurrence, se limitent à prévoir une coopération prima facie purement administrative.
Me Ljupcho Grozdanovski, Consultant juridique pour le magazine Le Monde Economique et Associate Partner chez Infinitum Legal Services
[1][1]Cela est, d’ailleurs, précisé à l’article 13 de l’accord : « aucun élément du présent accord n’est interprété de manière à porter préjudice à la formulation ou à l’application du droit de la concurrence de l’une ou de l’autre partie ».
[2] Art. 2, par. 4, de l’accord.