Le MONDE ECONOMIQUE La région élargie de l’arc lémanique se démarque par la qualité de son tissu économique, scientifique et universitaire. Pensez-vous que pour mieux exploiter son potentiel, elle devra s’investir davantage ?
Claude Béglé L’Arc lémanique détient en effet une formidable potentialité. On y retrouve une densité d’acteurs complémentaires difficile à retrouver ailleurs. Par exemple un tissu académique remarquable, avec l’EPFL, les Universités de Genève et de Lausanne, l’IHEID, l’IMD, et de très bonnes HES, dont l’EHL, la HEID et l’HEPIA. Egalement de belles entreprises et des banquiers étonnement ouverts à la question du développement durable.
Nos autorités politiques sont elles aussi sensibilisées à ces questions et elles cherchent à faire avancer les choses autant que possible. Ce qu’il faut en revanche, c’est d’éviter une dispersion, un éparpillement de l’effort nécessaire pour atteindre des résultats significatifs. D’où l’importance d’institutions comme CleantechAlps, dont le rôle est de fédérer l’ensemble des bonnes volontés dans ce secteur en Suisse romande.
A tout cela s’ajoute l’indéniable aura liée à notre région et à l’image très internationale de Genève en particulier. Car on y retrouve à la fois le monde des traders en énergies-fossiles (très pragmatiques et focalisés sur le court terme) et celui des agences spécialisées des Nations-Unies réfléchissant à l’avenir de notre planète, en passant par le CERN et des ONG telles que le WEF, ISO, WWF, WBCSD et tant d’autres. Tous ces facteurs sont de nature à renforcer le rayonnement de l’Arc lémanique, incitant à la venue chez nous de gens compétents d’un peu partout, et même de Californiens parmi les prestigieux, comme on le verra prochainement. D’où la nécessité de tisser des liens étroits entre toutes les parties prenantes à cette belle aventure.
Le MONDE ECONOMIQUE Face à la montée en puissance des Etats-Unis (66 milliards de dollars en faveur des Cleantech) et de la Chine (47 milliards), comment se place la Suisse dans les Cleantech ?
Claude Béglé Il est vrai que les Cleantech relèvent de plus en plus d’un marché global, où les Etats-Unis et la Chine jouent un rôle capital; mais aussi l’Inde, la Corée du Sud, l’Allemagne, etc… Qui n’avance pas recule, dans ce marché en forte expansion, vu l’impérieuse nécessité de trouver rapidement des solutions d’efficience énergétique, ainsi que de nouvelles sources d’énergie.
Alors comment faire face à cette concurrence internationale? La Confédération a produit un Masterplan Cleantech, qu’elle a fait circuler pour recueillir les avis de toutes les parties concernées. Il est temps que nous cherchions tous ensemble à nous organiser, à capitaliser sur notre force d’innovation, à éviter un trop grand éparpillement de nos ressources et à regagner des parts de marché dans ce segment porteur de la nouvelle économie.
Le MONDE ECONOMIQUE Les chiffres, émanant des multiples organismes spécialisés dans le cleantech, montrent une explosion des investissements. Mais concrètement, avons-nous un marché pour les énergies renouvelables en Suisse ?
Claude Béglé Oui, il y a un marché. Distinguons deux choses bien distinctes: d’une part l’effort de recherche et développement, avec à la clé de nouveaux produits et services. Vu les couts substantiels de la recherche, il s’agira souvent de projets à vocation internationale. Mais d’autre part n’oublions pas la mise en œuvre de technologies déjà développées, par exemple des mesures d’économies d’énergie telles que le programme Minergie, l’installation de panneaux solaires sur des toits où celle de pompes à chaleur. Cela est parfaitement envisageable chez nous. Et les répercussions de la crise qui affecte le Japon va probablement secouer certaines de nos vieilles habitudes et contribuer à accélérer le mouvement.
Le MONDE ECONOMIQUE Pour l’instant, les Cleantech doivent plus aux grandes entreprises qu’au secteur public. L’Etat affiche des ambitions fortes, mais tarde parfois à les concrétiser. Que peut-on aujourd’hui attendre des pouvoirs publics ?
Claude Béglé Le rôle des pouvoirs publics va être déterminant pour l’essor des Cleantech. Car pour les développer, il faut une volonté politique forte. En effet, la plupart de ces technologies propres ne sont pas encore rentable par elles-mêmes comparées à l’énergie hydraulique (mais dont le volume n’est plus guère extensible) où au coût déclaré (mais très discutable) de l’énergie nucléaire. Il convient donc de mettre en place à la fois un système régulatoire et incitatif. Celui-ci doit être compréhensible, clair et stable. Ce n’est qu’ensuite que le secteur privé pourra jouer, en toute connaissance de cause, le rôle important qui est le sien.
Le MONDE ECONOMIQUE Depuis le début des années 90, la prise de conscience de la nécessité de transformer notre modèle de croissance s’est imposée. Pensez-vous que la Suisse doit oser pour préparer l’«après-demain» ?
Claude Béglé Bien entendu, il nous faut d’ores et déjà préparer l’après-demain. Car les défis auxquels nous sommes confrontés portent sur le très long terme. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme et de la mise en place d’une nouvelle infrastructure à vingt où trente ans. C’est en effet le temps que va prendre la mise en place d’un smart grid, où d’un nouveau parc automobile combinant électricité et gaz liquide par exemple, ou encore l’installation de panneaux solaires dans le désert avec des connections à longues distances jusqu’aux marchés consommateurs.
Le MONDE ECONOMIQUE Vous êtes un des apôtres du cleantech en Suisse. Quel monde Claude Béglé souhaite-t-il laisser à ses enfants ?
Claude Béglé Pour que la paix et une certaine harmonie puissent régner sur terre, il faudra s’assurer collectivement que l’accès à l’énergie soit possible pour tous, en dépit des besoins croissants de la population mondiale. Cela signifiera à la fois des avancées technologiques notables et la mise en place d’une certaine forme de gouvernance à l’échelle mondiale. Il en ira d’ailleurs de même pour l’accès à l’eau et pour chacune des matières par essence non-renouvelable dont nous aurons besoin. Et en même temps, essayons de ne pas hypothéquer l’avenir de nos enfants, en leur léguant une planète où il fait bon respirer et bon vivre.