Le Monde Economique François Morand, vous êtes en charge de la gestion du site internet « cine.ch », comment a évolué ce site durant les deux dernières années ?

François Morand En 2011, nous avons d’abord procédé à un premier rafraîchissement graphique du site internet afin d’améliorer la navigation. La fonction première de « cine.ch » est de donner aux internautes les informations sur toutes les sorties et tous les horaires. Aujourd’hui, un grand nombre d’internautes publie des critiques sur les films, ce qui enrichit notre site. A cet effet, nous avons comme objectif de développer davantage cette partie « critique » car elle est très riche et intéressante pour nos visiteurs.

Le Monde Economique Quelle est la fréquentation de « cine.ch » aujourd’hui ?

François Morand « Cine.ch » compte plus de 300’000 visiteurs par mois. Grâce à ce chiffre, le site est le numéro 1 en Suisse romande. Nous avons constaté une nette augmentation de nos visiteurs grâce à notre application mobile. D’ailleurs, nous avons un basculement progressif de nos internautes vers la version mobile.

Le Monde Economique Dans quelle direction souhaiteriez-vous faire encore faire évoluer ce site dédié au cinéma ?

François Morand Nous aimerions encore améliorer l’ergonomie du site afin de permettre un accès aux informations encore plus rapide. Actuellement, la majeure partie de nos visiteurs vient pour connaître les horaires des films, lire les synopsis et regarder les bandes-annonces. Mon souhait est que nous puissions faire évoluer la partie « contenu » et surtout la partie « critique » faite par les internautes eux-mêmes. Nous comptons de vrais fans qui postent d’excellentes critiques, mais nous devons pouvoir leur proposer des outils mieux adaptés et plus efficaces afin d’augmenter le nombre et la mise en valeur de leurs critiques.

Le Monde Economique Comment se porte le cinéma dans les salles romandes ?

François Morand Bien dans l’ensemble. Les Suisses sont très friands des salles obscures. Il faut savoir que les deux salles qui font le plus d’entrées en Suisse se trouvent en Suisse romande, à Genève et à Lausanne. L’année 2012 est une grande année en matière de films avec beaucoup de grosses sorties de blockbusters. Il est vrai que depuis l’arrivée des multiplex, certaines petites salles ont dû fermer leurs portes, mais d’autres petits exploitants ont réussi à se différencier en proposant une programmation différente. Ce choix de stratégie est leur force.

Le Monde Economique J’ai remarqué que de nombreux films sortent en dvd sans passer par la case cinéma, tel le dernier Robert Redford. De qui émane cette décision ? Est-ce un choix stratégique ?

François Morand Non, ce n’est pas un choix stratégique. Lorsqu’un studio produit un film, il doit trouver un distributeur. Pour certaines grosses majors américaines, elles sont elles-mêmes distributeurs et s’occupent donc d’aller vendre ces films directement aux exploitants de cinéma. D’autres doivent trouver des distributeurs pour acheter leur film qui eux doivent les revendre aux exploitants. Malheureusement, certains très bons films ne trouvent pas d’acquéreurs. Ils passent à la trappe.

Le Monde Economique Y a-t-il des différences entre la Suisse romande et la Suisse alémanique en termes de diffusion et de sensibilité des spectateurs ?

François Morand En règle générale, oui. Si nous étudions le box office Suisse allemand, il y a des différences. Nous n’avons pas le même humour, ni la même sensibilité. Il se peut que des films ne sortent pas en Suisse romande malgré un gros succès en Suisse allemande.

Le Monde Economique Quels sont les processus et cycle d’un film avant d’arriver sur la RTS ?

François Morand En règle générale, il y a d’abord une première fenêtre de diffusion au cinéma. Le film est ensuite commercialisé en DVD et en offre VOD (Video on demand). Puis, il est proposé à des chaînes de télévision dites Premium (type CANAL+), et pour finir il arrive sur les chaînes de la RTS. Pour information, la RTS a signé un accord de diffusion prioritaire sur les films. Cet accord lui permet de diffuser ses nouveautés avant les grandes chaînes françaises, telles que TF1 et M6.

Le Monde Economique Que pensez-vous du piratage dans le millieu du cinéma et de la télévision ?

François Morand C’est un problème évident et très coûteux pour l’ensemble de cette industrie. L’industrie de la musique qui a connu le même problème a su s’adapter en proposant un autre modèle économique. Elle a eu l’intelligence de proposer, à travers des prix attractifs et des plateformes simples, une solution qui encourage le téléchargement légal. Les majors cinéma ont encore du retard, surtout au niveau des prix. Pourtant, depuis 2 ans, j’observe une réelle volonté de changement de leur business model. Je pense que très bientôt, il sera plus facile et moins onéreux de télécharger des films. L’industrie du cinéma est une grosse machinerie qui vit une véritable révolution. Le changement prendra un peu de temps pour s’adapter à la nouvelle donne économique et à notre nouvelle façon de consommer l’image.

Le Monde Economique Travaillez-vous également sur d’autres projets ou dans d’autres activités ?

François Morand Ma société s’occupe de gérer la distribution des chaînes TV internationales sur le territoire suisse. Nous développons la commercialisation auprès des opérateurs TV de nos chaînes de TV. Par exemple, nous lançons auprès de Swisscom TV, 3 nouvelles chaînes d’ici la fin de l’année. Nous aidons aussi les opérateurs TV à consituer des offres de télévision complètes pour leurs clients ainsi que des offres de télévision à la demande (VOD).

Le Monde Economique Pour conclure, avec les nouvelles technologies, le home cinéma et internet, comment voyez-vous le futur de l’industrie du cinéma, des films en salle et des salles elles-mêmes ?

François Morand Beaucoup de gens prédisent la mort du cinéma, mais il s’agit d’une vision erronée. Ce sont ces mêmes personnes qui, à l’arrivée de la télévision, prédisaient la mort de la radio, et à l’arrivée d’Internet, la mort de la télévision. Chaque média a sa place ; il faut simplement qu’il trouve les moyens d’évoluer en s’adaptant à la société. Nous le voyons avec l’arrivée de la 3D. Reproduire de la 3D dans les mêmes conditions qu’au cinéma est quasiment impossible pour le moment. Ne perdons pas de vue que lorsque nous nous rendons dans un cinéma, nous faisons une sortie avec l’objectif de trouver une ambiance spécifique et une atmosphère particulière. Ces critères sont fondamentaux.

Néanmoins, je pense qu’une meilleure structuration entre le cinéma, la TV, la VOD, etc… permettrait de limiter le piratage et d’offrir la place à chaque segment. A ce sujet, un très gros distributeur de films a testé de la Super Video On Demand. Il a offert la possibilité de visionner des films à la maison en VOD, en même temps que la sortie cinéma, pour un prix d’environ 25 USD. Cela a très bien fonctionné. Après le test, il a noté d’une
part que cette offre fonctionnait uniquement pour un certain type de film, et d’autre part que les testeurs n’avaient pas diminué leur nombre de sorties « cinéma ». Les salles de cinéma ont encore des belles années devant elles.

Interview réalisée par Nicolas-Emilien Rozeau, Ecrivain & Chroniqueur pour le magazine Le Monde Economique