- Forte et prospère, la place industrielle et technologique suisse attire l’attention de concurrents potentiels et de services de renseignements étrangers. Le fait que le pays est aussi à la tête de l’innovation mondiale et qu’il accueille sur son sol les sièges de nombreuses multinationales ne fait que renforcer les appétits à son égard et faire de lui the place to be pour de nombreux agents travaillant pour le compte de différentes centrales de reconnaissance. On peut même supposer que les grands centres de la recherche, de l’innovation et de l’industrie suisses pullulent d’espions de tous genres, plus subtils et plus habiles les uns que les autres. Ceci dit, il ne faut pas non plus verser dans la « spy-mania » ; il faut rester calme tout en redoublant de vigilance.
- Raffinement des moyens d’espionnage.
- C’est, en gros, ce que préconise aussi le Service de renseignement de la Confédération et ce que cherche à promouvoir son programme de prévention et de sensibilisation Prophylax. Le SRC a même produit un court- métrage destiné à rendre les entreprises suisses (et celles, étrangères ou internationales, basées dans le pays) attentives aux dangers de l’espionnage économique et technologique. En ligne de mire cherche en effet à sensibiliser les producteurs et les managers attentifs à la grande subtilité et au raffinement des méthodes utilisées aujourd’hui pour soutirer ou percer des secrets économiques, technologiques et purement professionnels. Le film montre les manoeuvres d’identification, par les espions, de leur « cible », de récolte de ses données personnelles (récolte, largement facilitée, de nos jours, par l’Internet et les « data » auxquels il donne accès), de recensement de ses faiblesses et d’élaboration d’un plan d’action.
Effectivement, les moyens d’espionnage sont, de nos jours, à la fois plus technologiques et plus psychologiques que ceux utilisés encore hier. Les intrus cherchent les failles psychologiques voire existentiels de leur « cible » et, pour les identifier, ils fouillent toutes les niches d’information personnelle que l’Internet puisse contenir. La « Toile » leur permet d’autre part des téléchargements illicites et des piratages informatiques. Ruag, entreprise d’armement dont le propriétaire est la Confédération suisse et qui entretient des liens étroits avec le Département fédéral de la défense, a été espionnée pendant un an par le biais d’un logiciel malveillant (on l’a appelé « maliciel ») subtilement intégré : un cas désormais classique d’espionnage industriel au moyen de l’informatique.
De toutes les entreprises, objets potentiels d’espionnage, les PME et les startups sont les plus vulnérables car ce sont des cibles qui s’ignorent. Du fait de leur petite taille, elles ne croient pas représenter un grand intérêt pour les agents de renseignement et le plus souvent ne prennent pas de mesures pour se protéger d’éventuelles attaques malveillantes. Ceci est une grave erreur : créées souvent pour assurer l’application pratique d’une découverte, d’une invention, les petites entreprises suisses sont souvent de vrais épicentres de l’innovation et elles ont tout pour intéresser l’espionnage technologique et industriel. Celui-ci ne l’oublie pas et ne les perd jamais de vue.
Malaise à dénoncer les attaques hostiles et difficultés de donner une définition précise de l’espionnage industriel.
- D’autre part, les espions jouent sur le malaise qu’éprouvent certains responsables d’entreprises d’annoncer d’éventuelles attaques craignant notamment de sortir de la discrétion et d’être contraints à exposer au grand jour leurs secrets d’affaires. D’ailleurs, c’est surtout par souci de discrétion – cette vertu nationale helvétique – qu’en Suisse, en général, on préfère ne pas rendre publics même les cas les plus flagrants de pistage intrusif.
- Mais si d’autres pays au contraire – surtout les grandes puissances – ont tendance à médiatiser largement et bruyamment de tels cas, les intégrant dans la guerre économique qu’elles mènent entre elles sans merci, il n’en reste pas moins que presque partout l’attitude, préventive ou réactive, à l’égard de l’espionnage industriel est caractérisée par un certain malaise, confusion, et par le flou. Des zones poreuses persistent également, surtout en ce qui concerne la différenciation juridique entre, notamment, les termes d’espionnage et celui d‘intelligence économique. Comme le souligne Jérôme Dupré dans son ouvrage « Renseignement et entreprises », l’intelligence économique, jouit, à l’inverse de l’espionnage, d’un statut de légalité : « il existe en effet un droit de l’intelligence économique, du renseignement « ouvert » ». Pourtant, les limites ne sont pas clairement définies entre les deux démarches et il reste toujours aisé de poursuivre des intrusions de reconnaissance malveillante sous prétexte de pratiquer de l’« intelligence économique ».
- Contrairement au travail de prévention, de détection et de lutte contre ces actes d’hostile intrusion secrète, qui, comme on l’a dit, est un travail qui passe par de larges zones d’ombre et de flou, les attaques des espions se font, quant à elles, de plus en plus précises, plus ciblées, plus agressives. Il est certainement nécessaire d’ouvrir de nouveaux fronts de combat contre ce fléau.