Photo Sandra Crowl © Carmignac
Par Sandra Crowl, Stewardship Director chez Carmignac
La « fast fashion » n’est pas durable sur le plan environnemental, car elle utilise d’immenses surfaces de terres et d’énormes quantités d’eau, tout en produisant des tonnes de déchets et d’émissions toxiques. Du point de vue social, son fonctionnement se caractérise par de mauvaises conditions de travail et d’importants problèmes de santé et de sécurité. D’un autre côté, elle peut aussi réduire la pauvreté en étant parfois la seule option accessible, que ce soit en raison du prix, des taillesdisponibles ou d’autres facteurs.
Au sein de l’industrie mondiale de l’habillement, la « fast fashion » (mode éphémère), terme inventé dans les années 1990, s’est largement développée ces dernières années en raison 1) du désir des millénials et de la génération Z de bénéficier d’une mode moins chère avec un renouvellement plus rapide, 2) de la technologie, notamment avec la montée de la culture des célébrités qui utilisent les réseaux sociaux, et 3) de l’utilisation croissante des canaux de vente en ligne.
L’objectif principal de la fast fashion étant de réduire les coûts de production, les aspects de durabilité de la production sont souvent négligés. Elle est le deuxième plus grand pollueur d’eau potable au monde et sera responsable d’un quart des émissions mondiales de carbone d’ici 2050 (voir le tableau ci-contre). L’élément le plus distinctif de son modèle « prendre-fabriquer-jeter » est l’importante quantité de déchets qui est produite, avec plus de 500 milliards de dollars de perte de valeur chaque année en raison de sa sous-utilisation (la moitié est jetée en moins d’un an) et du manque d’options de recyclage (1 % des matières utilisées est recyclé en d’autres articles vestimentaires).
Sur le plan social, malgré de nombreuses polémiques (au Bangladesh avec l’effondrement du Rana Plaza, en Chine avec le traitement de la minorité musulmane dans la région autonome de Xinjiang Uygur, etc.), l’industrie mondiale de la mode reste un très gros employeur, avec plus de 300 millions de personnes[1] travaillant sur toute sa chaîne de valeur. Elle apporte emplois et prospérité à certaines communautés ; le coton représente à lui seul 7 % de tous les emplois[2] dans certains pays à faible revenu. En outre, cet essor de la mode abordable accroît l’accessibilité financière et réduit les inégalités entre les consommateurs, car les personnes peuvent s’habiller selon les dernières tendances.
Pourquoi cela nous intéresse-t-il ? Parce que l’opinion des consommateurs est en train de changer. En février 2019, 66 % des millénials[3] ont déclaré qu’ils seraient prêts à payer plus cher pour des marques durables. De plus, la COVID-19 a accentué les tendances en matière de durabilité. La majorité des consommateurs des marchés développés affirment qu’il est désormais plus important de limiter les effets du changement climatique et de vivre de manière plus durable.
Par conséquent, les consommateurs et les investisseurs, qui sont de plus en plus conscients des enjeux ESG au sein de la chaîne d’approvisionnement, font porter la responsabilité de l’amélioration des normes sur les marques. Le scandale de Boohoo (avec des salaires jusqu’à 54 % inférieurs au salaire minimum au Royaume-Uni), qui a entraîné un effondrement du cours de l’action malgré le peu d’impact attendu sur les ventes, illustre cette tendance.
En tant qu’investisseurs à long terme, nous abordons ces compromis sociaux et environnementaux en collaborant directement avec la direction des entreprises, dans un secteur où le vert reste décidément bien pâle. Selon nous, les industries qui font partie du problème doivent également faire partie de la solution.
Inditex, par exemple, s’appuie sur un écosystème de fournisseurs locaux, privilégiant une croissance interne à un développement basé sur un réseau complexe d’intermédiaires à l’autre bout du monde pour proposer son offre de fast fashion. Ce choix pourrait devenir un avantage concurrentiel majeur dans une industrie changeante.
Malgré des améliorations significatives, le prix reste un facteur clé pour les consommateurs et les matières recyclées restent encore très chères. Plusieurs grandes marques devront investir massivement. Zara, H&M, Adidas et ASOS prennent toutes des mesures positives, mais les décisions d’achat des consommateurs ne reflètent pas encore leurs opinions. Même pour la fast fashion, le changement devrait être lent. Peu à peu, les marques devront se concentrer sur la qualité plutôt que sur la quantité. Sans surprise, l’avenir réside dans l’innovation et l’éducation des clients. Les entreprises qui se concentrent sur des solutions gagnant-gagnant, qui tiennent compte des compromis environnementaux et sociaux tout en aidant les consommateurs à comprendre l’impact des articles qu’ils achètent seront les mieux placées pour réussir. Elles contribueront également à réduire le gaspillage massif en matière de consommation qui entraîne inévitablement des changements climatiques radicaux.
[1] Fondation Ellen MacArthur, article « Fashion and the Circular Economy » (sans date)
[2] Euromonitor International Apparel & Footwear (2016)
[3] Google Trends
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