Par Sherif Mamdouh
Une onde de choc mondiale. L’annonce de Donald Trump, imposant une série de tarifs douaniers massifs sur des biens importés en provenance d’Asie, d’Europe et d’Amérique latine, a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers. Cette nouvelle salve protectionniste, qualifiée de « réinitialisation de l’ordre économique mondial » par la Maison-Blanche, a précipité les principales places boursières dans le rouge et ravivé les craintes d’une récession mondiale. Alors que les investisseurs s’arrachent les traditionnels actifs refuges, comme l’or ou le franc suisse, les cryptomonnaies, les cryptomonnaies suscitent un intérêt plus mesuré, leur rôle dans cette nouvelle donne économique restant encore à clarifier.
Ce type d’environnement incertain attire souvent l’attention sur les actifs alternatifs », observe Valérie Noël, responsable du trading à la Banque Syz. Le Bitcoin, par exemple, a connu des mouvements de prix notables ces derniers jours. Après avoir approché les 84 000 dollars le 4 avril 2025, il s’échangeait autour de 75 000 dollars le 9 avril, une variation qui reflète la sensibilité des marchés aux tensions géopolitiques et économiques. En fin de semaine, la cryptomonnaie avait toutefois rebondi pour revenir à un niveau équivalent à celui de début avril.
Cette dynamique illustre les perceptions contrastées que suscitent encore les actifs numériques. « Le Bitcoin partage avec l’or certaines caractéristiques – offre limitée, résistance à l’inflation – mais son comportement reste davantage influencé par des facteurs techniques et macroéconomiques », nuance Valérie Noël. Entre valeur refuge émergente et actif encore perçu comme spéculatif, la cryptosphère continue de tracer son chemin dans un contexte mondial en mutation.
Le secteur du minage, pilier du fonctionnement de certaines cryptomonnaies, n’échapperait pas aux effets collatéraux des politiques tarifaires. Les taxes sur les équipements informatiques, importés pour la plupart d’Asie, pourraient affecter directement la rentabilité des mineurs aux États-Unis. Toutefois, la récente décision de l’administration Trump d’exempter certains produits électroniques des hausses tarifaires, même si elle reste temporaire, pourrait offrir un répit bienvenu aux acteurs du secteur. « Ces équipements très spécialisés sont devenus plus coûteux, ce qui pèse sur les marges », explique la cheffe du trading de la Banque Syz.
Fabian Dori, directeur des investissements de Sygnum Bank, confirme que ces mesures pourraient « ralentir temporairement l’expansion des capacités de minage sur le sol américain ». Toutefois, il rappelle que l’industrie s’est montrée historiquement résiliente : « Elle est mobile, flexible, et capable de s’adapter rapidement à des environnements économiques ou réglementaires changeants. » De nombreux mineurs pourraient ainsi choisir de relocaliser leurs opérations dans des zones plus clémentes, où l’énergie est moins chère et la fiscalité plus favorable.
Raphaël Pardini, directeur des investissements chez Targa 5 Advisors, invite à nuancer l’impact négatif de ces tensions. « Il est difficile de prévoir avec précision toutes les conséquences, mais un premier effet observé a été la baisse des coûts de l’énergie, en raison d’un risque accru de récession. Cela peut favoriser les mineurs de cryptomonnaies, puisque l’énergie représente une part importante de leurs coûts opérationnels », explique-t-il. Ainsi, si les taxes pèsent sur les importations de matériel, la conjoncture pourrait partiellement compenser ces effets pour certains acteurs du secteur.
Dans ce climat de tension commerciale, les comportements des investisseurs crypto évoluent. « Certains cherchent à réduire leur exposition à la volatilité globale, d’autres, au contraire, renforcent leurs positions en misant sur un rebond », observe Valérie Noël. Si aucun mouvement massif de réallocation n’est encore visible, les acteurs du secteur constatent une sélection plus fine des projets dans lesquels investir.
Raphaël Pardini souligne que les investisseurs institutionnels restent attentifs à la liquidité : « En période de stress, le Bitcoin peut être vendu non pas par défiance, mais pour couvrir des appels de marge ailleurs. » Cette dynamique rappelle que la cryptomonnaie, aussi attractive soit-elle en théorie, reste soumise aux logiques de marché.
La guerre commerciale détourne également l’attention des régulateurs, concentrés sur les enjeux géopolitiques et commerciaux. « Les cryptomonnaies passent temporairement au second plan sur l’agenda politique », observe Raphaël Pardini. Ce recul réglementaire peut retarder certains projets, mais il offre aussi un répit aux acteurs du secteur, qui continuent de se structurer.
Sur le moyen à long terme, les experts s’accordent à reconnaître un potentiel croissant. « Les crypto-actifs ne sont plus une niche marginale, mais une classe émergente, avec ses propres logiques et opportunités », estime Fabian Dori. Qu’il s’agisse de paiements internationaux, d’inclusion financière ou d’alternatives monétaires dans un contexte d’inflation, les usages possibles s’élargissent. Encore faut-il que la stabilité technologique, l’adoption grand public et un cadre juridique cohérent suivent.
Dans une économie mondiale fragmentée par les tensions commerciales et le repli nationaliste, les cryptomonnaies n’offrent pas encore l’ancrage solide des actifs traditionnels. Mais leur rôle évolue, lentement mais sûrement. À mesure que la guerre commerciale redessine les équilibres, le Bitcoin et ses pairs pourraient bien passer du statut d’alternative spéculative à celui d’outil stratégique.
Retrouvez l’ensemble de nos articles Economie