Par Emmanuelle Morel
Partout sur la planète, la course vers une société décarbonée est synonyme d’opportunités prometteuses pour les différents fonds d’investissements. Et tant mieux, car le développement des infrastructures vertes – gourmandes en financements – ne sera possible que grâce à leur mobilisation.
Investir dans la transition énergétique s’est imposée comme une nécessité dans les politiques publiques comme dans les stratégies des fonds d’investissements privés, en Europe et dans le reste du monde. Tous les acteurs – étatiques et privés – ont un horizon en tête : 2050, date à laquelle nos économies devront être totalement décarbonées afin de limiter l’impact du réchauffement climatique. Et cela passera nécessairement par une redéfinition de nos grandes infrastructures. « Ardian, Meridiam, Antin… les financiers ont faim d’infrastructure », titrait d’ailleurs le magazine Challenges[1] en septembre dernier. C’est un fait : leur appétit pour les infrastructures traditionnelles et les infrastructures vertes ne fait que grandir.
Les fonds d’investissement et de capital-investissement font en effet partie des partenaires privilégiés pour soutenir les politiques publiques de développement des infrastructures. Et il n’y a aucune raison pour que cela change, tant les besoins sont importants, tant dans les infrastructures traditionnelles que dans les innovations permettant d’atteindre l’objectif de 2050. « Les infrastructures traditionnelles concernent les transports et l’énergie, les nouveaux secteurs importants sont liés au déploiement des télécommunications, ainsi qu’à celui des infrastructures sociales (éducation et santé) qui ont besoin d’énormément d’investissements et auquel le secteur privé peut contribuer, détaille Vincent Levita[2], PDG d’InfraVia Capital Partners. Le rôle de l’État est double : il doit financer et déclarer l’orientation des politiques publiques, comme on le voit avec le programme très haut débit pour internet. Le cadre réglementaire doit toujours être bien défini pour la coopération entre les acteurs publics et privés. À partir de là, les acteurs financiers privés peuvent faire leur travail. » Bien évidemment, l’État ne peut pas tout financer, les financements privés viennent la plupart du temps en complément. Mais nombre de projets reposent aussi sur des investissements 100% privés. Surtout dans le cadre de la transition verte, l’innovation est à ce prix.
Aujourd’hui, c’est donc surtout sur le terrain de la transition énergétique que les investissements privés sont attendus. Et les fonds comme Ardian répondent présents. « Les investissements dédiés aux infrastructures vertes constituent le cœur de nos investissements, avance Laurent Fayollas[3], directeur adjoint d’Ardian Infrastructures et président de Hy24. La transition énergétique est une évolution très importante, tout comme l’efficience énergétique. Tout ce qui peut réduire l’empreinte carbone de nos infrastructures est essentiel. Nous recherchons en permanence à développer davantage de projets à faible impact. Actuellement, nous développons un fonds dédié aux énergies renouvelables. Nous avons par exemple atteint 1,8 milliards d’euros d’investissements sur le projet Hy24, un pure player sur la fabrication d’hydrogène décarboné. Cette stratégie s’applique sur nos nouveaux investissements comme sur les entreprises présentes dans notre portfolio. Les équipes dirigeantes de toutes nos entreprises intègrent désormais ces paramètres de réduction de leur empreinte carbone. Nous fixons des objectifs, nous analysons les résultats, nous nous améliorons pour atteindre ces objectifs. Aujourd’hui, la transition énergétique se retrouve dans tous nos investissements. » Avec 150 milliards d’euros d’actifs, Ardian – nº1 français du capital-investissement – a évidemment un rôle central à jouer dans la transition énergétique, comme le montre son 8e fonds secondaire tourné vers l’innovation responsable de 5,25 milliards d’euros[4] levé en 2022.
De l’autre côté de l’Atlantique, la stratégie est la même. Présente aux côtés de Laurent Fayollas lors du sommet Paris Infraweek 2022, Vivian Nicoli, directrice générale Infrastructures Europe à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), voit dans la transition énergétique des infrastructures à la fois une nécessité et une opportunité à saisir : « L’objectif du zéro carbone est intrinsèque à la stratégie de CDPQ. Nous avons entamé notre transition en 2017 et avons largement dépassé nos objectifs dès 2022. Notre transition vers le ‘zéro émission’ est fondée sur 4 piliers. Le premier se concentre sur les investissements directs dans les infrastructures vertes. Aujourd’hui, nous avons environ 26,5 milliards d’euros d’investissements verts. Notre objectif pour 2025 est d’atteindre 40 milliards. Cela revient à investir 3,4 milliards supplémentaires par an. » Au programme également : la réduction de 60% des émissions carbone des entreprises du portfolio de CDPQ d’ici 2030, la fin des investissements dans le pétrole et une enveloppe de près de 7 milliards d’euros pour la transition vers les énergies vertes.
Les énergies vertes sont en effet au cœur des stratégies de ces fonds. Les technologies d’avenir sont connues, et les fonds d’investissement n’hésitent pas à lever des fonds pour leur développement. En mars dernier par exemple, Eurazeo a levé 420 millions d’euros[5] pour son fonds ETIF (Eurazeo Transition Infrastructure Fund), avec entre autres le développement d’Ikaros Solar, un développeur d’installations solaires en Belgique, quatorze mois après l’entrée au capital d’Eurazeo dans cette société. Selon Martin Sichelkow[6], directeur général d’Eurazeo, ce « premier investissement dans un sous-secteur de la transition énergétique se trouve au cœur de notre mission, à savoir la production d’énergie renouvelable distribuée. Ikaros Solar présente des caractéristiques intéressantes en matière de RSE et soutient la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, un pilier essentiel de la nouvelle stratégie d’Eurazeo en matière d’infrastructures durables ».
Mais c’est dans le secteur de l’hydrogène vert que les investissements semblent les plus prometteurs. En octobre dernier, la levée de fonds de 2 milliards autour du projet Hy24 a donné le ‘la’ des investissements européens dans ce domaine. Ce projet réunit des géants industriels (Airbus, Air Liquide, EDF, TotalEnergies, Vinci…) et des piliers de la finance (Caisse des Dépôts, Crédit Agricole, Société Générale). Coentreprise gérée par Ardian et FiveT Hydrogen, Hy24 constitue l’une des briques de la future indépendance énergétique européenne et française. « Toute la place de Paris et tous les grands industriels français de l’hydrogène sont présents, se félicite Pierre-Etienne Franc[7], directeur général de Hy24. La moitié des fonds vient d’acteurs industriels, ce qui est très rare, et l’autre moitié d’investisseurs institutionnels. Au global, 47% sont des sociétés françaises. » Le vieil adage voulant qu’en France, nous n’avons pas de pétrole mais des idées, se vérifie encore une fois. Mais cette fois, les idées sont en train de faire fleurir l’innovation et les énergies de demain. À une seule condition : que les fonds privés comme Eurazéo, Ardian, Meridiam ou Antin continuent d’investir massivement dans les infrastructures de demain.
[1] https://www.challenges.fr/finance-et-marche/ardian-meridiam-antin-les-financiers-ont-faim-d-infrastructure_829275
[2] https://www.youtube.com/watch?v=GB2YDtsfqf8
[3] https://www.youtube.com/watch?v=nHDVCbAmMGs
[4] https://www.finyear.com/La-8e-generation-de-fonds-d-infrastructure-d-Ardian-resolument-tournee-vers-l-innovation-responsable_a48747.html
[5] https://www.boursier.com/actions/actualites/news/eurazeo-annonce-un-nouveau-closing-de-son-fonds-dedie-a-l-infrastructure-de-transition-pour-un-montant-d-environ-420-me-896957.html
[6] https://www.zonebourse.com/cours/action/EURAZEO-SE-4643/actualite/EURAZEO-ACQUIERT-UNE-PART-MAJORITAIRE-DE-L-ENTREPRISE-IKAROS-SOLAR-PREMIER-INVESTISSEMENT-DE-SA-S-37541471/
[7] https://www.agefi.fr/news/entreprises/avec-2-milliards-deuros-le-fonds-hy24-veut-faire-decoller-lhydrogene