Crédit illustration : Flickr, Paul Kagame.
Devenir l’un des plus gros exportateurs de gaz naturel : c’est l’ambition que se fixe aujourd’hui le Mozambique, ce pays d’Afrique australe parmi les plus pauvres du monde. L’exploitation de ses ressources en gaz naturel pourrait en effet le propulser sur le devant de la scène économique africaine, à condition toutefois de lever les derniers freins qui retardent son décollage.
La moitié des réserves gazières des États-Unis, premier producteur mondial du combustible : tel est le trésor que le Mozambique a trouvé dans son sous-sol au début des années 2010. Pour ce pays classé au 9e rang des nations les plus pauvres du monde, cette découverte a suscité un espoir insoupçonné de développement économique, social et humain.
Mais l’affaire n’est pas gagnée : la province du Cabo Delgado, celle qui abrite le gisement en question, est en effet depuis plus de 6 ans le théâtre d’une situation insurrectionnelle majeure, ayant coûté la vie à 6000 personnes et provoqué le déplacement de 800 000 Mozambicains. Et, comme souvent dans les pays les plus pauvres, cette crise sécuritaire est l’expression des tensions et contradictions qui affligent une société ethniquement morcelée, plongée dans la misère et minée par la corruption.
Pour le Mozambique, changer cette richesse dormante en levier de développement et de stabilisation est donc un enjeu vital pour s’extraire du cercle vicieux qui plombe l’avenir de sa population, parmi les plus déshéritées d’Afrique.
Le Mozambique est classé 180e à l’indice de développement humain, soit après l’Afghanistan, le Yémen et l’Éthiopie. Comme dans beaucoup de pays frappés par la pauvreté, la corruption y est importante — ce qui n’aide en rien le pays à s’émanciper d’un contexte hérité de longues années de guerre civile.
En décembre dernier s’est ainsi tenu un jugement attendu, sanctionnant un des plus grands scandales de l’histoire du pays, impliquant des proches du pouvoir, accusés de blanchiment, de détournements de fonds et de chantage. Des opérations frauduleuses qui ont notamment impliqué le fils de l’ancien président Armando Guébuza. « Les crimes commis ont eu des effets qui dureront des générations. Le pays a été bloqué, l’aide financière à l’État suspendue et la pauvreté s’est aggravée pour des milliers de Mozambicains », a affirmé le juge Efigenio Baptista lors de l’énoncé du verdict.
La découverte des gisements gaziers a toutefois suscité un regain d’espoir pour tous les acteurs de la société mozambicaine. Les quelque 5000 milliards de mètres cubes de gaz naturel recensés à ce jour, dont la moitié est exploitable, pourraient rapporter près de 80 milliards de dollars au pays. Selon la banque sud-africaine Standard Bank, le Mozambique pourrait passer dans le top 5 des plus gros exportateurs mondiaux de gaz naturel, avec une production annuelle estimée à 15,2 Mtpa. Des accords de vente ont déjà été passés pour 90 % de la production future.
L’agence de notation Fitch a récemment estimé la croissance du Mozambique à 4,7 % en 2023 et 7,4 % en 2024, fortement portée par « le secteur naissant du GNL mozambicain ». La totalité du projet devrait aussi et surtout permettre la création d’un minimum de 20 000 emplois directs et indirects. L’exploitation des réserves et l’exportation du GNL pourraient donc être le point de départ d’un cercle vertueux pour le Mozambique, provoquant développement humain et croissance économique.
Plusieurs grands énergéticiens de la planète sont impliqués dans l’exploitation du gaz mozambicain, dont ENI, qui a été le premier à exporter des cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL), en novembre dernier. En effet, face à l’intensité de l’insurrection dans le Cabo Delgado, seul l’industriel italien a été en mesure de poursuivre ses activités, ayant opté pour une exploitation offshore le mettant à l’abri des attaques terroristes. Les membres du projet terrestre Mozambique LNG (des sociétés mozambicaine, japonaise, indiennes et thaïlandaise emmenées par Total) ont en revanche dû mettre en pause leurs activités, suite à la prise temporaire de la ville de Palma par les insurgés, en avril 2021.
Le contexte semble tout de même avoir évolué positivement depuis, notamment grâce à l’intervention des forces armées de la Southern African Development Community (SADC) ainsi que du Rwanda, qui ont permis de reprendre les axes stratégiques et les villes passées aux mains des islamistes. Mais la reprise pleine et entière des activités ne pourra avoir lieu que lorsque ces améliorations auront montré qu’elles sont durables, comme l’a confirmé en février dernier Patrick Pouyanné, PDG de Total, s’exprimant au nom de toutes les sociétés du projet Mozambique LNG.
Ce blocage a douché un temps les espoirs de nombreuses parties prenantes, et pèse donc sur Maputo, mais il n’empêche pas les acteurs internationaux, publics comme privés, de saisir toute occasion pour faire évoluer favorablement la situation locale, signe tangible que le projet est tout sauf abandonné.
Modestement, la Grèce a fait un don symbolique de 40 000 euros afin d’aider à la formation de 250 jeunes dans la région de Cabo Delgado. De son côté, Total a signé un mémorandum avec l’Institut Industriel et Commercial de Pemba (IICP) visant à la formation de 390 jeunes au total. 90 d’entre eux ont d’ores et déjà commencé, en janvier 2023, à suivre des cours d’hôtellerie et de tourisme, les 300 autres devant entamer des formations à l’électricité et à la mécanique générale.
Des bailleurs de fonds internationaux ont également commencé à apporter leur soutien au pays, dont le FMI, qui avait consenti un prêt de 456 millions de dollars au Mozambique en mai 2022. L’institution a néanmoins insisté sur la nécessité pour le pays de réaliser des réformes économiques importantes et de se doter d’un fonds souverain pour que la manne apportée par l’exportation du gaz reste sous contrôle. Un signal qui n’a pas échappé aux autorités locales, le président Filipe Nyusi annonçant, en août dernier, la création d’un tel outil au « cadre réglementaire solide » et dont la mission sera « d’assurer le futur du pays, surtout dans l’adversité », faisant référence à la volatilité du cours du gaz et aux « chocs externes ». Ce fonds souverain devrait être opérationnel avant le « début du plus grand flux » de gaz exporté de Cabo Delgado, espéré à partir de 2024. Le Mozambique emboîte ainsi le pas à plusieurs pays exportateurs d’hydrocarbures africains, comme le Sénégal, le Gabon ou l’Angola, qui ont également mis en place des dispositifs similaires pour gérer les revenus de leurs exportations d’hydrocarbures.
Le fonds souverain mozambicain sera d’autant plus important pour l’avenir du pays que les chantiers seront nombreux pour le pouvoir mozambicain dans les prochaines années. Ce dernier devra surtout s’assurer que les revenus du GNL profiteront à tout le pays et à toute l’économie, comme l’expliquent dans une note Fiseha Haile Gebregziabher et Fernanda Massarongo, économistes à la Banque mondiale : « Les politiques devront être orientées vers la maximisation des avantages de la croissance tirée par les ressources en gaz naturel. Il faudra renforcer les liens entre industrie extractive et le reste de l’économie ».
Le pays semble donc, avec l’aide de ses partenaires, réunir progressivement les fondamentaux permettant une exploitation judicieuse de la manne gazière, pour le plus grand bien de tous. À condition toutefois de venir à bout de la crise sécuritaire – la bonne utilisation des dividendes gaziers étant à cet égard un enjeu central – et de ne pas renouer avec les vieux démons d’une gouvernance perfectible.
Sur ces points, le Mozambique peut aussi compter sur un soutien international croissant, notamment de la part de l’Union européenne, qui a signé, en octobre dernier, plusieurs conventions de financement avec Maputo pour « la construction de la paix » et de la « sécurité » à Cabo Delgado. Une aide qui n’est pas, il est vrai, désintéressée : l’Europe compte notamment sur le gaz naturel mozambicain pour contribuer à remplacer le gaz russe, et renvoyer rapidement aux oubliettes un charbon qui fait tache dans ses ambitions de décarbonation.
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