Selon les annonces faites par la Commission européenne, le 15 avril 2015 la commissaire européenne à la concurrence, Mme Margrethe Vestager, dépose officiellement une plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la m CJUE) visant à faire sanctionner Google pour abus de position dominante, au sens de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE).
La surprise n’est pas grande pour deux raisons. Premièrement, ce ne sera pas la première fois que Google sera amené à se défendre devant la Cour de justice. L’on se rappelle notamment des affaires dites ‘AdWords‘ (par exemple, l’arrêt Google France et Google de 2010, aff. jtes C-236/08, C-237/08 et C-238/08). Ces affaires concernaient le droit de la propriété intellectuelle dès lors qu’il s’agissait de savoir si en offrant des services de référencement de signes, Google pourrait être tenue responsable pour des usages abusifs de marques notoires, lorsque certaines entreprises référençaient des signes similaires à ceux utilisés, à titre de messages publicitaires, par des entreprises telles que Louis Vuitton.
Deuxièmement, et compte tenu du fait que Google Inc. est une entreprise de droit américain, la pratique de la Commission européenne ainsi que la jurisprudence des juridictions de l’Union confirment le fait que la conception européenne de la concurrence n’est pas tout à fait la même que celle retenue aux Etats-Unis. L’opinion dominante parmi les spécialistes européens de droit de la concurrence est que le maintien de conditions optimales de la concurrence au sein du marché intérieur de l’Union est un moyen – et non une fin en soi – conduisant à garantir ainsi qu’à accroître le bienêtre des consommateurs et celui des concurrents. Bien que la vision américaine du droit de la concurrence ne s’écarte pas radicalement de la vision européenne, en ce qui concerne au moins les principes de base, toujours est-il que le marché américain est conçu comme un espace au sein duquel certaines distorsions de la concurrence peuvent être tolérées, simplement parce que les meilleurs entreprises sont – naturellement – plus capables d’être en position de dominance sur un marché pertinent. En ce sens, pourquoi sanctionner le meilleur de la classe du fait qu’il soit le meilleur ?
Il faut préciser qu’aux termes de l’article 102, alinéa 1, TFUE, « est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ». Du point de vue de la preuve, cette disposition opère une distinction entre l’existence d’une position dominante, d’une part et l’abus de celle-ci, d’autre part. Seule une ‘exploitation abusive’ d’une position dominante est sanctionnée sur le fondement dudit article. Une telle exploitation est constatée, selon l’article 102, alinéa 2, TFUE, lorsque l’entreprise dominante impose, de façon directe ou indirecte, des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables, lorsqu’elle limite la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ou lorsqu’elle applique à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence.
La Commission européenne a débuté ses enquêtes relatives à l’abus de position dominante de Google en 2010. Cet abus découlerait, notamment, du traitement défavorable d’autres moteurs de recherche dans l’affichage des résultats obtenus lors d’une recherche par mots-clés. A cela s’ajoute le fait que Google accorde un traitement préférentiel à se propres services. La Commission a, en outre, enquêté sur les clauses d’exclusivité imposées par Google à ses distributeurs ainsi qu’à ses partenaires commerciaux, responsables pour le contenu des publicités rendues disponibles en ligne. Bien qu’il s’agisse de faits ayant été vérifiés depuis quelques années par la Commission européenne, il y a eu, en 2014, un arrangement entre Google et le commissaire à la concurrence de l’époque, M. Joaquin Almunia. Toutefois, la commissaire actuelle a réouvert le dossier, en estimant qu’il y a de nouveaux faits, fournissant des preuves plus solides du fait que Google aurait abusé de sa position dominante sur le marché intérieur de l’Union européenne. Le détail des griefs de la Commission européenne sera publié le 15 avril 2015. Si Google est sanctionnée par la Cour de justice, elle sera probablement tenue de payer une amende équivalant à 10% de son revenu annuel, sans oublier qu’en 2014, ce revenu a été de 66 milliards de dollars américains.
L’affaire Google fait étrangement penser à celle de Microsoft qui a été sanctionnée par le Tribunal de l’Union européenne en 2009 pour abus de position dominante. Cette condamnation a coûté 899 millions de dollars américains à Microsoft.