INGVAR KAMPRAD, LE MILLARDAIRE ECONOME

15 février 2018

INGVAR KAMPRAD, LE MILLARDAIRE ECONOME

Il n’avait pas attendu sa mort, le 27 janvier dernier, pour entrer dans la légende. Ingvar Komprad y était depuis longtemps, depuis des décennies déjà.

Aux quatre coins du monde, les quatre lettres d’IKEA étaient déjà mythiques. Elles avaient traversé les âges en incarnant l’esprit de chaque époque : du « meubles- boom » de l’après-guerre et des Trente glorieuses aux années de la globalisation dont, par son expansion rapide, l’IKEA est devenue aujourd’hui l’un des emblèmes.

Tout a débuté, pourtant, par une structure toute frêle, faite d’allumettes et ouverte à tous les vents.

Une « success story » fascinante.

Oui, tout a commencé le jour où le petit Ingvar se mit à cameloter, vendant des allumettes, parfois même des crayons. Sans qu’il le sache alors, ces tiges de bois scellaient sa vocation et préparaient sa voie : des allumettes et des crayons aux meubles et maisons en kit, l’empire d’Ingvar se bâtissait en bois – un bois chaque jour plus dur, prêt à affronter des vents. Et même parfois des feux.

C’est en 1947 que l’entreprise commence à vendre son mobilier mythique. De là à la mort de Kamprad, elle va compter 411 magasins dans plus de 40 pays et marquer un vrai record de chiffres d’affaires dont la valeur en 2020 atteindra 50 milliards d’euros !

« Leur livre de chevet, c’est Cioran, près du catalogue IKEA. »

Emblématique des époques qu’elle traverse, IKEA l’est aussi de son pays d’origine, la Suède, et de la Scandinavie en général. Elle en incarne l’idée de confort au foyer, la douceur d’un chez- soi accueillant qui, aux pays boréaux et nordiques, s’oppose à l’hiver et au froid et rejoint même le « hygge », le code scandinave du bonheur. Il consiste à goûter, une tasse fumante à la main, à un bien-être douillet, peuplé d’êtres proches et d’objets familiers. Mais de ce Nord casanier, l’IKEA en incarne l’éclat aussi, sa gloire internationale scellée par acronymes mythiques, par sigles à quatre lettres d’or: IKEA (pour parler d’elle-même), ABBA…

Depuis les années 2000, les meubles suédois s’inscrivent aussi dans l’univers « bobo ». Loin du luxe mais nullement bon marché non plus, ils participent du style des couches aisées nouvelles – les « bourgeois- bohèmes ». Ceux-ci, « griffés » non- conformistes mais ne dédaignant point le confort de maison, dont ils font le centre d’un monde bien à eux, bohème et artistique, sont tout naturellement attirés par les meubles produits par Kamprad. Dans sa chanson célèbre, Renaud, non sans admettre « faire aussi partie du lot », a immortalisé le goût « bobo » pour la marque suédoise : « Leur livre de chevet, c’est Cioran, près du catalogue IKEA» ?

L’improbable Monsieur Komprad.

Non -conformiste, Ingvar Komprad l’a été lui aussi – à sa manière. Une manière même plus sincère que ne l’a jamais été la douce subversion « bobo».

Fondateur d’une entreprise qui aujourd’hui se range parmi les plus emblématiques du monde occidental dont on connaît la frénésie consumériste, Ingvar Kamprad fut en même temps et bien à sa façon, la négation flagrante de tout gâchis et excès de consommation.

Dans sa vie privée, l’homme qui a bâti la multinationale du meuble se contentait de peu, au point de devenir l’objet de vraies légendes. D’ailleurs, l’improbable Ingvar Kamprad qui a commencé sa vie comme un petit vendeur d’allumettes s’est plus tard vu rapprocher à un autre héros fictionnel – Mister Scrooge. En effet, occupant l’un des sommets du classement « Forbes » des grandes fortunes, l’homme était en même temps connu pour sa prodigieuse parcimonie. Avec son look de retraité lambda qui ne laisse sa vieille Volvo que pour aller en tram (et profiter, du coup, d’une réduction « seniors »), il a même promu l’austérité en valeur d’entreprise. Chez lui, ce n’était pas une pose mais une vraie seconde nature.

Sur ce terrain, on ne l’a que peu suivi ; on l’a plutôt raillé.

Pourtant, dans notre monde où tout est consommable et tout est jetable, ringard pour les uns, avare pour les autres, Ingvar Kamprade, l’homme qui a meublé la vie et bercé le quotidien de milliers de gens, a donné le signal d’une halte au gâchis, d’un frein à tout excès.

 

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