Photo © Caré
Interview de Charles Christophi – Directeur du CARÉ
Le Monde Economique Malgré un niveau de vie parmi les plus élevés au monde, la précarité existe aussi en Suisse. Selon l’œuvre d’entraide Caritas, on estime à plus de 13% de personnes en Suisse qui ont fait l’expérience de la pauvreté. La pauvreté est-elle en train de gagner du terrain chez nous ?
Charles Christophi : Oui, je pense, bien que certains s’en sortent encore mieux qu’avant. Pour nous, au CARÉ, nous sommes passés de 150 repas par jour à midi au début 2020 à plus de 300 depuis l’automne dernier. C’est le résultat de la crise sanitaire et économique. Nous voyons beaucoup de petites gens (probablement des personnes qui travaillaient dans l’économie domestique sans contrat de travail) qui viennent chercher à manger ou qui nous demandent des cornets alimentaires. Ils n’arrivent donc plus à vivre de façon autonome avec ce qu’ils ont.
Le Monde Economique Reconnu d’utilité publique et bénéficiant de l’exonération des impôts cantonaux et fédéraux, le CARÉ œuvre depuis plus de 40 ans pour répondre aux besoins des plus démunis à Genève. La présence d’une organisation telle que la vôtre se justifie-t-elle encore dans un pays riche tel que la Suisse ?
Charles Christophi : Malheureusement, oui. Même si la Suisse est un pays riche, tout le monde n’est pas riche ou n’a pas de quoi subvenir à ses propres moyens. De plus, il y a aussi un certain nombre de personnes qui vivent dans la rue (qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs). Ce que nous constatons, c’est que n’importe qui peut se retrouver un jour ou l’autre au CARÉ. Souvent, cela arrive après une perte d’emploi, puis la perte de son logement et c’est une dégringolade sans fin.
Le Monde Economique Quels soutiens apportez-vous concrètement aux plus démunis ?
Charles Christophi : Le CARÉ se veut avant tout un lieu d’accueil d’urgence de jour, destiné à recevoir, de manière informelle et inconditionnelle, des personnes confrontées à des difficultés matérielles et/ou affectives, ayant souvent en commun la solitude et l’exclusion, le rejet et la marginalisation.
En tant que lieu de vie, nous favorisons les rencontres et les échanges entre les personnes. L’équipe, encadrée de stagiaires et de bénévoles, s’engage de manière permanente pour interagir avec beaucoup de souplesse, de finesse et avec un sens profond de l’anticipation et de l’adaptation.
Notre action directe est de servir des repas chauds et de répondre aux besoins essentiels (douches, casiers, coiffeur ou encore distribution de vêtements et de cornets alimentaires) dans un lieu de réconfort, où nous agissons aussi pour encadrer et orienter les personnes accueillies auprès de toute structure qui pourra leur apporter une aide complémentaire à la nôtre.
Le Monde Economique Les images d’une Suisse invisible mais bien existante ont surgi durant la crise sanitaire. Les pouvoirs publics en font-ils assez pour enrayer cette pauvreté ?
Charles Christophi : Evidemment que non. Toutefois, ils font certainement tout ce qu’ils peuvent. Au final, dans notre démocratie, les pouvoirs publics sont les représentants de la population. C’est donc à chacun et chacune d’entre nous de nous poser la question : est-ce que j’en fais assez ?
Le Monde Economique Le CARÉ bénéficie d’un soutien de la Ville de Genève à hauteur de 25 % de son budget ; tout le reste, provient de dons. Comment les entreprises peuvent-elles vous soutenir ?
Charles Christophi : Nous avons besoin d’être toujours plus connus pour trouver de nouveaux donateurs. Nous avons aussi besoin de bénévoles. Et bien sûr, nous avons besoin de dons, qui peuvent être en nature ou en espèces. Récemment, une coiffeuse s’est proposée de venir couper bénévolement les cheveux au CARÉ. Des grossistes nous donnent de la nourriture. Des hôtels nous donnent des produits d’hygiène. Notre vestiaire d’urgence à besoin d’habits (surtout pour hommes), ce qui m’amènent à acheter des sous-vêtements, des t-shirts ou des chaussettes.
Le Monde Economique La RSE a longtemps été considérée comme une contrainte pour les entreprises or elle devrait être une opportunité. Les entreprises devraient-elles impliquer davantage leurs collaborateurs dans des projets sociaux de leurs communautés ?
Charles Christophi : Un collaborateur n’est pas seulement quelqu’un qui permet à une entreprise de faire du profit. C’est aussi une personne qui a besoin de s’épanouir aussi dans le cadre de son travail. Des projets sociaux permettent aux entreprises de partager concrètement leurs valeurs avec leurs collaborateurs ; ils permettent aussi aux collaborateurs de se retrouver dans un contexte différent et de faire quelque chose ensemble. Si, en plus, c’est utile pour la société, tout le monde est gagnant.
Le Monde Economique Contrer la pauvreté, que pourrions-nous faire ?
Charles Christophi : Dans l’absolu, rien, car il y en aura toujours. Par contre, nous pouvons développer un regard qui nous permet d’être mieux attentifs aux autres. Rien qu’un sourire peut redonner le goût de vivre à quelqu’un.
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