Photo © A. Salamolard
Les prochaines élections à la Cour des comptes de Genève auront lieu le 22 septembre 2024 avec un éventuel second tour prévu le 13 octobre. Cette institution, qui joue un rôle essentiel dans la surveillance de l’utilisation des fonds publics et la réalisation d’audits sur la gestion des finances du canton, est composée de 6 magistrats, dont 3 titulaires à plein temps et 3 suppléants, tous élus au suffrage universel pour un mandat de six ans. En 2018, l’élection s’est déroulée tacitement, sans réelle compétition, les candidats étant issus d’une liste unique. Pour 2024, une nouvelle alliance inédite s’est formée entre plusieurs grands partis politiques, dont le PS, les Verts, le Centre et le PLR, qui ont convenu de soutenir des candidats communs. Ce type d’accord pourrait soulever des questions sur la diversité et l’indépendance des représentants à la Cour, mais souligne également l’importance de l’institution dans le contexte genevois. L’élection à venir pourrait raviver l’intérêt pour cette entité encore méconnue de nombreux citoyens. Rencontre avec Arev Salamolard, avocate et candidate pour le poste de magistrate suppléante à la Cour des comptes de Genève.
Monde Economique: Pour de nombreux Genevois, la Cour des comptes reste une institution peu connue. Selon vous, quel est son rôle principal et pourquoi est-elle importante pour la gouvernance du canton ?
Arev Salamolard: La Cour des comptes est une institution majeure de notre démocratie. Sa mission est de préserver la confiance entre les institutions étatiques et la population. Sans confiance, il ne peut pas y avoir de paix sociale. Et sans paix sociale, il n’y a pas de prospérité. Il est en effet dommage que la Cour des comptes ne soit pas connue largement car chaque citoyen peut la solliciter. Il existe une plateforme anonymisée pour lanceur d’alerte et cela devrait se savoir largement au sein de la population. Il est possible de remédier à cela par le biais d’une communication adéquate.
Monde Economique: La Cour des comptes joue un rôle essentiel dans la supervision de l’utilisation des fonds publics, et certains postes importants sont souvent attribués à des personnes issues des partis politiques. En 2018, l’élection a été tacite. Pour 2024, le PS, les Verts, le Centre et le PLR se sont entendus sur des candidatures communes alors qu’habituellement ces partis sont en désaccord sur tout. Comment la population genevoise peut-elle être certaine de l’indépendance et de l’impartialité de la Cour dans ce contexte ?
Arev Salamolard: La Cour des comptes a gagné sa légitimité au fil de ses années d’existence (presque 20) et son travail est reconnu. Toutefois, il est vrai que la présentation de cette liste commune dont le but est de verrouiller l’élection est contradictoire avec sa mission. La constitution prévoit que l’élection doit avoir lieu au suffrage universel et que les citoyens doivent choisir les magistrats. En agissant ainsi par cooptation, les partis au pouvoir contournent les règles démocratiques.
Monde Economique: Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a motivé à vous porter candidate pour la Cour des comptes ?
Arev Salamolard: J’ai 46 ans, mariée et mère de deux enfants. Mes origines sont arméniennes et je suis arrivée à Genève à l’âge de 5 ans. Je chéris cette ville qui est devenue la mienne, avec un Etat solide et prévisible. L’action de la Cour des comptes y contribue et elle doit le faire plus encore. C’est ma conviction. C’est ma motivation. Je suis avocate, conseillère financière, administratrice indépendante et j’ai fondé plusieurs entreprises par le passé. Ces expériences cumulées me permettent de connaitre en profondeur nos institutions et le tissu socio-économique genevois et porter un regard avisé sur son fonctionnement.
Monde Economique: Vous avez une solide expérience en tant qu’avocate. Comment prévoyez-vous de transposer les compétences acquises dans le domaine juridique vers la gestion des audits et la supervision financière ?
Arev Salamolard: La Cour des comptes joue un rôle beaucoup plus large et c’est cela qui est passionnant. Elle mène des évaluations pour s’assurer que les politiques publiques atteignent les objectifs fixés. Elle accompagne aussi les autorités et les entités autonomes de droit publics en qualité de conseil-expert. Elle peut même aller jusqu’à émettre des propositions/recommandations de modifications législatives. C’est en cela que mon expertise juridique ainsi que ma pluridisciplinarité peuvent être une plus-value pour la Cour.
Monde Economique: Les audits menés par la Cour des comptes peuvent parfois aboutir à des recommandations qui ne sont pas toujours suivies. Comment pensez-vous que la Cour pourrait améliorer l’application de ses recommandations par les entités publiques auditées ?
Arev Salamolard: La grande majorité des recommandations émises par la Cour sont acceptées par les entités concernées. Malgré cela, il y a effectivement un certain nombre d’entre elles qui ne sont pas mises en application (environ 30%). Ce qui est inquiétant c’est que cette proportion est en augmentation. Je pense qu’il est possible d’améliorer cette situation en effectuant un suivi plus strict, plus rapproché dans le temps. Une communication plus large de ce suivi peut également créer une motivation voire une pression à implémenter les recommandations. Je pense que la Cour a également le devoir de dénoncer publiquement les cas où il n’y a pas de raison objective aux manquements de mise en œuvre des recommandations.
Monde Economique: Si vous êtes élue, comment souhaiteriez-vous que la Cour des comptes évolue pour répondre aux nouveaux défis fiscaux et économiques du canton ?
Arev Salamolard: La Cour des comptes peut se montrer plus proactive et empoigner spontanément des sujets transversaux pour répondre aux besoins de la population et des entreprises. La simplification des démarches administratives (notamment par la digitalisation en est un exemple). Les administrés et surtout les entreprises consacrent une proportion non négligeable de leur temps à répondre aux demandes des différentes administrations qui travaillent encore en silo. Il est temps de faire évoluer ce fonctionnement d’un autre temps.
Monde Economique: Face au cartel entre le PS, les Verts, le Centre et le PLR, peut-on considérer que l’issue de l’élection est déjà jouée ?
Arev Salamolard: J’espère que non. J’espère que les citoyens qui voteront le 22 septembre prochain seront sensibles à l’enjeu et à la nécessité de ne pas élire uniquement des personnes issues des partis au pouvoir. Ce n’est qu’en intégrant des personnes totalement indépendantes que la Cour des comptes pourra continuer à jouer son rôle et à embrasser une vision plus ambitieuse. Je suis très enthousiaste à l’idée de pouvoir participer à cette dynamique si le peuple genevois veut bien m’accorder sa confiance.
Interview réalisée par Thierry DIME
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