Interview de Christophe Weber, Président de la section romande de la Chambre de Commerce Suisse-Chine
Monde Economique La chambre de commerce Suisse-Chine est une institution peu connue des profanes. En quoi consiste son activité ?
Christophe Weber La chambre de commerce Suisse Chine est un organe national qui a été créée en 1971 à Zurich par monsieur Uli Sigg, qui fut le premier entrepreneur à avoir fondé une joint-venture avec la République populaire de Chine. Par la suite ce dernier a été nommé ambassadeur de Suisse à Pékin et s’est beaucoup investi dans l’amélioration des relations entre la Suisse et la Chine. Pour bien comprendre le fonctionnement de la CCI Suisse Chine, il est important de rappeler que la Suisse est une confédération regroupant trois régions linguistiques qui sont toutes représentées au sein de la CCI. En ce qui me concerne, je préside le Chapitre Genevois de la CCI qui a été fondé en 1995 pour défendre les intérêts de la Suisse romande. Depuis sa fondation, l’activité de la CCI a beaucoup évolué puisqu’elle ne prodigue plus de conseils juridiques. Elle œuvre essentiellement pour le développement de relations économiques harmonieuses et durables entre la Suisse et la Chine. Quand une entreprise chinoise veut s’implanter en Suisse, nous pouvons mobiliser en 24 heures toutes les parties prenantes qui pourront l’aider à concrétiser ce projet avec succès. Cela va des services de la promotion économique en passant par les cabinets d’avocats, les banques et les fiduciaires. Les entreprises suisses qui veulent faire de même en Chine peuvent également faire appel à nos homologues chinois. A côté de cela, nous organisons, différentes rencontres avec les décideurs politiques afin que nos adhérents puissent échanger avec eux, et surtout bénéficier d’informations privilégiées qui leur permettent de s’adapter aux évolutions légales ou structurelles du marché chinois. A l’origine de notre efficacité en la matière, il y a les excellentes relations que nous entretenons avec les différentes représentations diplomatiques de la Chine réparties entre Berne et Genève.
Monde Economique Le made in china a toujours a été synonyme de non qualité. Cela est-il encore vrai aujourd’hui ?
Christophe Weber Après un séjour de cinq ans en Chine, je puis vous affirmer que la Chine est capable de produire mieux que les entreprises européennes et surtout plus rapidement. Outre cela, les chinois ont développé une étonnante capacité à innover. Cette vision du made in china est selon moi plutôt obsolète puisqu’elle date de 25 ans. Il est plus que temps que le monde regarde ce pays avec un regard nouveau afin de voir ce qui s’y passe réellement. La Chine depuis a connu un renouveau et ce n’est pas un mirage. C’est vrai que la Chine a encore beaucoup de progrès à faire notamment en matière de politique sociale et de gestion de l’environnement, le parti communiste et le gouvernement chinois au pouvoir en sont conscient et veulent que cela change. La preuve en est, le gouvernement chinois a ratifié les accords Cop 21 à Paris et de plus, dans son nouveau plan quinquennal, il a pris des mesures drastiques pour lutter contre les problèmes de pollution. Pour se faire une opinion sur l’évolution de la situation, il suffit de passer une commande sur un site comme Alibaba. Au bout de 5-10 jours très souvent vous recevez pour une somme de 15 CHF, une marchandise ayant un niveau de qualité plus qu’acceptable. Les Chinois ont compris depuis longtemps qu’ils devaient adopter vers un business model plus orienté vers la qualité et l’innovation. C’est pour cela qu’ils viennent régulièrement visiter nos usines et nos entreprises afin d’observer nos méthodes de travail et poser des questions ainsi, ils peuvent rentrer chez eux avec des idées d’innovation. Le plus bel exemple en la matière, c’est l’histoire de la fondation de la bourse de Shanghai. Cette institution a ouvert ses portes grâce à un étudiant chinois qui était allé étudier aux USA le fonctionnement des bourses américaines.
Monde Economique La Chine est réputée être une place de marché très fermée. Quels sont les secteurs de l’économie chinoise où un étranger peut investir sans risque ?
Christophe Weber C’est vrai qu’il y a beaucoup de sociétés européennes ou américaines qui ont essayé de s’installer en Chine et qui ont échoué. Cependant il en a été de même pour de nombreuses sociétés chinoises en occident. Très souvent, ces échecs sont dus à une incompréhension du marché local. Ce fut le cas notamment de Tasli une société qui commercialisait du thé en Suisse. Cette société a dû fermer ses portes au bout de deux ans, faute d’avoir compris le fonctionnement du marché du thé en Suisse. Pour s’implanter sur le marché chinois il est important d’adapter son business model aux mentalités locales. Quand je me suis retrouvé en Chine pour ouvrir la représentation locale du World Economic Forum, j’ai été confronté au même problème. Au bout de quatre mois, j’ai dû expliquer à ma hiérarchie que la « value proposition » qui fonctionnait depuis plus de 30 ans sur le marché suisse et mondiale n’était pas adaptée aux exigences du marché chinois. Fort de ce constat, il fallait donc l’adapter aux circonstances. D’autres sociétés comme VW ou BMW ont été confrontées aux mêmes problèmes. Il a fallu dix ans à BMW pour comprendre que les chinois souhaitaient avoir des sièges arrière plus spacieux. Pourquoi cela, et bien tout simplement parce que le chinois aisé aime se faire conduire, embaucher un chauffeur ne lui coûte pas cher. Tout d’un coup dès qu’ils ont élargi les sièges arrière de 40 à 50 cm le marché a pris. Très souvent, le succès d’une implantation à l’étranger est intimement lié à la compréhension des coutumes locales. Chose impensable en Europe, la sieste étant sacrée en Chine, une société comme IKEA a dû accepter que ses visiteurs utilisent les lits exposés dans ses showrooms pour se reposer. Elle a dû également agrandir la taille de ses restaurants qui font fureur en Chine. A part le secteur du retail où les chinois ont des prix imbattables, il est encore possible d’investir dans la pharmacie et l’automobile en intégrant bien le fait que la Chine n’est plus un pays quick win.
Monde Economique Le coût de la main d’œuvre a tendance à se renchérir en Chine. Quelles conséquences cela va-t-il avoir sur l’avenir selon vous ?
Christophe Weber Avec le renchérissement du coût des salaires, une entreprise occidentale n’aura aucun intérêt à délocaliser sa production en chine. Ainsi les entreprises chinoises seront elles aussi tentées d’aller délocaliser leurs unités de production vers des pays comme le Vietnam ou les Philippines. Ce nouveau statut quo ne pourra avoir que des effets bénéfiques sur la croissance de ces régions. C’est pour cela que le gouvernement chinois incite ses entrepreneurs à innover et à se lancer dans la qualité. Cela est déjà vrai dans le secteur de la téléphonie ou on constate, que des entreprises comme Huawei qui ont été créées il y a sept ans n’ont rien à envier à Samsung en termes de parts de marchés. N’oublions pas que certaines innovations comme les écrans plats ou les téléphones allant sous l’eau sont venus de Chine. Ce pays a déjà ses Yahoo, il veut ses propres google. Tout ceci est déjà fortement encouragé par le gouvernement chinois. Preuve que les choses vont très vite, Ali Express a déjà fait son apparition en Europe. De plus en plus d’européens commencent à faire leurs achats sur ce site au détriment d’Amazone.