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Le 22 septembre prochain, les Suisses se prononceront sur la réforme de la prévoyance professionnelle. Le référendum contre la réforme du 2e pilier, initié fin mars 2023 par la gauche et les syndicats, a recueilli plus de 141 000 signatures, soit près de trois fois le nombre requis. Cette réforme propose de réduire le taux de conversion de 6,8 % à 6 %, une mesure rendue nécessaire par l’augmentation de l’espérance de vie. Ainsi, le capital accumulé par un rentier au cours de sa carrière se traduira par une rente plus faible. La moitié des assurés bénéficieront d’une compensation de rentes durant une période transitoire de 15 ans. Le seuil d’accès au deuxième pilier sera également abaissé, permettant à 100 000 personnes d’être nouvellement ou mieux assurées, notamment les travailleurs à temps partiel et les femmes. Entretien avec Danièle Felley, spécialiste en prévoyance professionnelle et fondatrice de Helianthe Perspectives.
Monde Economique: La réforme du 2e pilier suscite de vifs débats et les Suisses seront appelés à voter sur ce sujet le 22 septembre prochain. Pouvez-vous expliquer pourquoi une telle réforme est nécessaire à l’heure actuelle ?
Danièle Felley: La réforme LPP21 est essentielle pour moderniser notre système de prévoyance. En 1985, le taux de conversion était fixé à 7,2%, avec une espérance de vie post-retraite de 14 ans. Aujourd’hui, ce taux est de 6,8%, faible ajustement malgré le prolongement de l’espérance de vie à 23 ans. Il est également important de rappeler que maintenir ce taux nécessite des rendements constants de 5%. La LPP, créée en 1985, doit évoluer pour s’adapter aux réalités économiques et sociétales actuelles. Cette réforme est la réponse à ces enjeux cruciaux. Voici les ajustements clés de la réforme :
Monde Economique: Quelles sont les principales critiques formulées par les syndicats et la gauche contre cette réforme ?
Danièle Felley: Les syndicats et la gauche ont lancé un référendum contre la réforme LPP21, motivés par de sérieuses préoccupations quant à ses effets. Ils argumentent que la réforme entraînerait des réductions significatives des rentes, estimées jusqu’à 3240 francs par an pour certains, en raison de l’abaissement du taux de conversion de 6,8% à 6%. Cette modification, selon eux, pousserait les travailleurs à cotiser davantage tout en réduisant leur rente future, une situation exacerbée par des taux d’intérêt et un coût de la vie qui ont connu des évolutions significatives depuis l’élaboration initiale de la réforme. De plus, ils mettent en avant que la réforme pénaliserait de manière disproportionnée les femmes, en particulier après des promesses non tenues concernant l’amélioration de leurs rentes lors de votations précédentes. Les critiques soulignent également que le projet est coûteux et offre peu en retour, une évaluation partagée même par certaines associations économiques qui jugent les coûts disproportionnés par rapport aux avantages
Monde Economique: L’une des mesures phares de cette réforme est la réduction du taux de conversion. Comment l’abaissement du taux de conversion de 6,8 % à 6 % impactera-t-il les futurs retraités ?
Danièle Felley: Il convient de noter que seulement 14 % des assurés actuels seront affectés par cette mesure. Pour bien saisir les répercussions de l’abaissement du taux de conversion de 6,8 % à 6 %, il est primordial de comprendre son fonctionnement. Ce taux, appliqué à l’avoir de prévoyance, détermine le montant de la rente annuelle versée aux retraités. Un taux réduit entraîne donc inévitablement une baisse de cette rente. Cependant, afin d’atténuer cette baisse, il est prévu un supplément de rente destiné aux personnes aux revenus modestes, qui possèdent de faibles avoirs de prévoyance. Ce supplément bénéficiera aux 15 premières générations de retraités impactées. Il est également important de souligner que les retraites des générations après la génération transitoires ne seront pas impactées, car leur épargne sera plus importante.
Le Monde Economique: Tous les travailleurs ne seront pas affectés de la même manière par cette réforme. Quelles catégories de travailleurs seront les plus affectées ?
Danièle Felley: La réforme affectera différemment les travailleurs, influencée par des facteurs comme le salaire, l’âge, ou le taux d’occupation. Parmi les perdants de cette réforme, les travailleurs proches de la retraite se trouvent en première ligne, subissant de plein fouet la baisse du taux de conversion, bien que cette situation ne concerne que 14 % des assurés. En effet, les autres assurés, ayant un taux de conversion enveloppant (taux de conversion unique pour les parties obligatoire et surobligatoire) ne verront rien passer. Cependant, il y a aussi des gagnants dans cette réforme. Les travailleurs à bas salaires et ceux à temps partiel bénéficieront d’améliorations significatives, notamment par la diminution du seuil d’accès à la prévoyance et une révision favorable de la déduction de coordination. De plus, la réduction des bonifications de vieillesse dès 45 ans vise à alléger les charges sur les employeurs, améliorant ainsi l’employabilité des travailleurs de plus de 50 ans, réduisant indirectement leur vulnérabilité économique avant la retraite.
Monde Economique: La réforme vise également à améliorer la couverture pour certains groupes spécifiques. Comment la réforme améliore-t-elle la couverture des personnes travaillant à temps partiel et des femmes ?
Danièle Felley: Il est important de noter que, sous le régime actuel, les femmes et les salariés à faible revenu bénéficient souvent d’une couverture insuffisante en cas d’invalidité, de décès et pour la retraite. Prenons l’exemple d’une mère de famille travaillant à mi-temps avec un salaire annuel de 35’000 CHF. La déduction de coordination actuelle étant de 25’575 CHF, elle n’est assurée que sur un montant inférieur à 10’000 CHF. Cela se traduit par une rente d’invalidité d’environ 5’000 CHF par an et une rente de vieillesse très limitée. Avec la réforme proposée, la déduction de coordination serait adaptée pour que le même salaire soit assuré sur 28’000 CHF, augmentant ainsi la base de calcul pour les prestations à environ 18’000 CHF supplémentaires. En conséquence, la rente d’invalidité s’élèverait à environ 14’000 CHF (par rapport aux 5’000 CHF actuels), et la rente de vieillesse serait nettement plus substantielle, offrant une meilleure sécurité financière à long terme.
Monde Economique: Pensez-vous que cette réforme sera suffisante pour assurer la durabilité du système ou d’autres réformes seront-elles nécessaires à l’avenir ?
Danièle Felley: La réforme LPP21 représente un jalon essentiel dans la quête de pérennité de notre système de prévoyance, mais elle sera certainement appelée à devoir encore évoluer pour en garantir la durabilité. Pour atteindre un équilibre financier soutenable sur le long terme et assurer une équité entre les générations, il est impératif d’envisager des ajustements supplémentaires. Une réforme efficace doit répondre aux besoins immédiats des retraités actuels tout en posant des bases solides pour les futures générations. L’adaptation continue de notre système aux changements économiques et démographiques est cruciale pour maintenir sa viabilité à l’avenir. Ainsi, tout en consolidant les acquis, il nous faudra rester vigilants et proactifs pour répondre de manière adéquate aux défis à venir.
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