Interview de Denise Chervet – Directrice ASEB
Le Monde Economique: L’Association suisse des employés de banque (ASEB) vient de révéler les résultats de l’« Enquête sur les salaires 2019 ». Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette étude 2019 ?
Denise Chervet : Trois enseignements :
Le Monde Economique Y-a-t-il des différences majeures avec les dernières enquêtes ?
Denise Chervet : La principale surprise par rapport aux enquêtes salariales précédentes est l’augmentation de la différence salariale entre les hommes et les femmes. Ces dernières années, nous avions noté une réduction de cet écart.
Le Monde Economique En 2019, les salaires fixes ont sensiblement augmenté : les collaborateurs ont bénéficié d’une augmentation de CHF 2’600, les cadres de CHF 1’500 et les membres de la direction sont passés de CHF 150’000 à CHF 155’000. Or, 61% des employés n’ont pas bénéficié d’une hausse de leur rémunération. Cet état de fait est-il problématique ?
Denise Chervet : Dans les banques, les négociations salariales débouchent en général sur des accords pour des augmentations de la masse salariale qui seront réparties ensuite individuellement. Nous constatons depuis plusieurs années, qu’une minorité des employés bénéficient d’une augmentation salariale, alors que les banques dépendent de l’engagement de tous leurs employés pour faire face à une concurrence toujours plus vive. Beaucoup sont démotivés par une telle politique, d’autant plus que les négociations salariales individuelles sont souvent frustrantes, quand elles ont lieu. Les bonus distribués de façon peu transparentes ne sont pas non plus incitatifs de façon durable.
Le Monde Economique La comparaison de la rémunération totale des femmes et des hommes montre que même dans le secteur financier, l’égalité des salaires est loin d’être réalisée. La bonne volonté des employeurs suffit-elle encore aujourd’hui pour réaliser l’égalité salariale ? Si non, quelles solutions ?
Denise Chervet : Je peux affirmer que les banques engagent des moyens financiers et personnels importants pour aller vers une égalité salariale. Aussi longtemps cependant qu’elles ne remettent pas en question la culture d’entreprise et certaines valeurs qui y sont liées, l’égalité salariale ne pourra être atteinte. Dans une banque il est difficile d’avoir des mesures objectives et mesurables pour évaluer les prestations du personnel. Les qualifications dépendent donc beaucoup des valeurs et de la vision du monde du qualifiant (plus rarement une qualifiante). Les préjugés sexistes sont d’autant plus difficiles à combattre lorsqu’ils sont inconscients comme c’est le cas dans les milieux progressistes qui considèrent sincèrement la femme comme l’égale de l’homme, mais ne remettent pas en question leur système de valeur… par exemple, le présupposé que les employés(es) flexibles, qui effectuent beaucoup d’heures supplémentaires, qui parlent souvent, etc. sont de bons salariés(es). Ou les réticences vis-à-vis du travail à temps partiel … Pour lutter contre ces préjugés, il faut favoriser la promotion des femmes, aussi de celles qui fonctionnent différemment que les hommes et mettre en place des structures qui leur permettent de s’épanouir au travail sans devoir renoncer à des aspirations personnelles ou familiales.
Le Monde Economique 52% des Américains affirment être insatisfaits de leur emploi, 59% des Canadiens disent ne pas aimer leur travail et 53% des Britanniques admettent qu’ils changeraient volontiers d’emploi. Ce pourcentage est encore plus élevé en France. L’insatisfaction au travail : Où est le problème ?
Denise Chervet : Avec la digitalisation, les méthodes de travail ont changé. Non seulement de nouvelles compétences sont requises, pour lesquelles les employés(es) n’ont en général pas été formés(es), mais les exigences en termes de disponibilité et de réactivité sont aussi épuisantes sur le long terme. Ajouté à cela, la tendance à travailler sous forme de projets, avec des équipes qui changent toujours, qui ne sont peut-être pas au même endroit, contribue à isoler les employés(es). Ils/elles ont alors le sentiment d’être impuissants et malgré tous les discours et appels à la créativité. Ils ont l’impression d’avoir perdu le contrôle de leur travail.
Le Monde Economique Le salaire suffit-il pour nous rendre heureux au travail ?
Denise Chervet : Le salaire est une des composantes de la satisfaction au travail, dans la mesure où il est une forme de feedback de l’employeur. Par ailleurs un bon salaire permet d’améliorer sa qualité de vie et de compenser ainsi des frustrations au travail. Le salaire n’est en revanche jamais un incitateur suffisant sur le long terme.