Interview de Florian Barthassat: « L’équilibre est la clé d’un bon vin. Le reste est une affaire du goût »

12 mars 2025

Interview de Florian Barthassat: « L’équilibre est la clé d’un bon vin. Le reste est une affaire du goût »

Photos © La Cave de Genève

Florian Barthassat – Œnologue à La Cave de Genève

Ingénieur en œnologie diplômé en 2005, Florian Barthassat a rejoint La Cave de Genève lors des vendanges de 2006 avant d’être officiellement engagé comme œnologue au 1er janvier 2007. Depuis, il occupe une place centrale au sein de l’institution, où il incarne l’excellence et l’innovation. Grâce à son expertise technique et à son sens aigu de la création, il transforme le potentiel du terroir genevois en vins d’exception, tout en répondant aux défis du marché et aux enjeux environnementaux. Son travail va bien au-delà de la production : il s’engage activement à valoriser le patrimoine viticole genevois, en collaborant étroitement avec les vignerons locaux et en participant à la promotion des vins de la région. Sous sa direction, les vins de La Cave de Genève allie tradition et modernité, explorant sans cesse de nouvelles voies pour renforcer la renommée des vins genevois en Suisse et à l’international. Rencontre avec Florian Barthassat, véritable chef d’orchestre des vignes genevoises.

Le Monde Economique : La Suisse compte plusieurs régions viticoles reconnues, comme le Valais, Vaud ou le Tessin, chacune avec ses spécificités. Quelle est la place du vignoble genevois dans ce paysage diversifié, et quels sont les éléments (terroir, cépages, approche) qui le distinguent des autres régions suisses ?

Florian Barthassat : Troisième canton viticole de par sa superficie, Genève est une région incontournable et majeure du vignoble suisse. Le travail de la vigne y a un ancrage historique datant de l’époque romaine et le vin fait partie intégrante du patrimoine et de la culture locale. Genève est certes célèbre pour sa ville, son jet d’eau, son histoire et ses institutions, mais sa proximité avec la campagne environnante mérite d’être davantage connue. La qualité exceptionnelle de ses produits locaux et la beauté authentique de ses paysages en font des atouts majeurs.

Plusieurs éléments contribuent à notre singularité : une diversité de cépages exceptionnelles extrêmement bien maîtrisées par les praticiens aussi bien à la vigne qu’à la cave ; une campagne magnifique avec des hameaux et villages dotés d’un cachet exceptionnel et une belle variété de zones viticoles ayant chacune leurs propres caractéristiques : les vignobles au sol argileux entre l’Arve et le lac qui sont tempérés par le Léman ; ceux au sol souvent graveleux entre l’Arve et le Rhône qui donnent des vins plus solaires et méridionaux et, enfin, les vignes plantées sur la rive droite du Rhône et du lac qui constituent la plus grande partie des surfaces cantonales où les sols argileux ou molassiques dominent.

Le Monde Economique : Quelles sont les grandes tendances actuelles en matière de vinification ? Et comment positionnez-vous votre approche de la vinification ?

Florian Barthassat : La tendance actuelle est celle des vins frais et typés par le ou les cépages qui les composent. Les crus élégants et digestes qui en « redemandent » ont du succès. A contrario, les vins lourds, fortement boisés et capiteux ont moins la cote. On sent depuis quelques années, un léger désamour pour le rouge au profit des vins blancs, rosés et effervescents. Pour l’élaboration de ce type de profil, le premier enjeux est de vendanger au bon moment pour avoir l’équilibre adéquate entre l’alcool, les arômes, l’acidité et, pour les rouges, les tanins. Par la suite, la vinification doit consolider ces acquis en mettant en avant la finesse, le fruit et la buvabilité. Dans notre pays, ce qui précède doit toutefois être relativisé en fonction de la région où l’on se trouve : en effet, la différence de goût entre les consommateurs latins et alémaniques est un des plus bel exemple qui soit du « röstigraben ». Les premiers ont une préférence pour la typicité et la fraîcheur alors que les seconds ont un goût prononcé pour les profils boisés et plus ronds.

Le Monde Economique : L’élevage en barrique est une pratique courante pour apporter complexité et structure aux vins. Seulement, certains critiques disent qu’il peut masquer le terroir. Partagez-vous cette opinion ? Comment trouvez-vous un équilibre entre l’expression du terroir et l’apport du bois ?

Florian Barthassat : Avant de parler de boisage ou de terroir, il faut parler d’équilibre. L’équilibre est la clé d’un bon vin. Le reste est une affaire du goût.

Concernant l’élevage en fût, un vin très boisé mais très bien équilibré peut donner un grand vin. A l’inverse, un boisage mal maîtrisé donnera des notes de bois excessives et déviantes. S’agissant du terroir, que recouvre cette notion dans un vin ? Si c’est l’influence sur les arômes, les saveurs et le goût, alors peu de régions à travers le monde ont la chance de pouvoir parler de vins de terroirs. Ce sont des vignobles, des zones, des parcelles bénis des dieux où la conjonction sol, climat et cépages donnent une singularité extraordinaire à un vin. D’ailleurs, dans ce cas, je parlerais plutôt de vins de lieu. De mon point de vue, la notion de terroir fait appel à des notions plus générales comme la tradition d’encépagement, le climat et la manière de travailler à la vigne et en cave.

Le Monde Economique : La Cave de Genève réceptionne, vinifie et commercialise les grappes livrées par plus de 50 familles vigneronnes du canton. Comment garantissez-vous une identité commune aux vins tout en respectant la singularité de chaque parcelle et de chaque vigneron ?

Florian Barthassat : L’étape primordiale – et la plus importante – est l’adéquation entre les parcelles sélectionnées et le vin à élaborer. Dans un deuxième temps, le travail à la vigne doit être calibré en fonction de la qualité visée, notamment au niveau du nombre de grappes par pied de vigne à conserver. Ensuite, la date de récolte est capitale et peut varier, pour un même cépage, d’une région à l’autre ; très bien connaître le vignoble et se rendre fréquemment dans les vignes pour goûter les raisins est la clé de la réussite. En cave, nous travaillons les raisins en  les regroupant selon les sélections définies au printemps (plusieurs parcelles de plusieurs viticulteurs). Les raisins destinés aux vins haut de gamme sont, quant à eux, travaillés parcelle par parcelle, puis, en fin de vinification,  assemblés en fonction de leurs qualités et caractéristiques.

Le Monde Economique : Bien que Genève soit reconnue pour ses vins de qualité, elle reste parfois dans l’ombre de régions comme le Valais ou Vaud. Selon vous, quels sont les atouts encore sous-exploités du vignoble genevois ?

Florian Barthassat : Le vignoble genevois, fort d’un sol riche et varié ainsi que d’un climat favorable, bénéficie d’une diversité de cépages supérieure à d’autres régions viticoles suisses ce qui nous permet de proposer des vins différents. Et bien que nous ne puissions rivaliser avec l’attrait des paysages de régions telles que les vignobles de montagne ou les terrasses du Lavaux, notre force est ailleurs : notre dynamisme et notre ouverture à l’innovation, notamment dans les techniques de viticulture, nous permet de proposer des vins d’un rapport qualité-prix imbattable sur le marché suisse. Il est essentiel de mettre en avant cet argument pour positionner les vins genevois et nous différencier des autres régions. Le canton de Genève a toujours été novateur, notamment les vignerons de La Cave de Genève qui ont marqué l’histoire en participant à la création à Genève de la première AOC Vin de Suisse, visant à réguler la production viticole et à accroître la qualité. Avec d’autres vignerons genevois, nous avons également été pionniers dans la plantation du Divico il y a une dizaine d’année. Ce cépage très résistant, nécessite peu de traitements et est très prometteur.

Le Monde Economique : Le secteur viticole fait face à de nombreux défis, comme les changements climatiques, l’évolution des goûts des consommateurs et la concurrence internationale. Quelles sont selon vous les perspectives d’avenir pour le vignoble genevois, et comment La Cave de Genève se prépare-t-elle à relever ces défis ?

Florian Barthassat : On parle abondamment des points que vous mentionnez et de leurs impacts sur le secteur viticole. Mais le vrai défi est ailleurs et réside dans la baisse constante et marquée de la consommation. Nous sommes dans un basculement générationnel. Le bassin de population qui consomme régulièrement du vin s’écrème gentiment et n’est pas renouvelé par de nouveaux consommateurs. A mon avis, dans les années à venir, des ajustements structurels seront nécessaires afin d’avoir un secteur d’activité sain qui reflète le marché. La bonne nouvelle est que la culture du vin est fortement ancrée en Suisse et qu’il se boira toujours du vin. Si nous gérons correctement ce tournant majeur, la profession a encore de beaux jours devant elle.

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