Le Monde Economique Les PME, qui constituent la force vive de notre économie, se trouvent confrontées à des conditions de marché très tendues qui obscurcissent l’horizon. Dans un contexte incertain, comment se présentent les perspectives économiques du canton de Vaud pour l’année 2013?
Guy-Philippe Bolay Les perspectives sont contrastées. L’enquête conjoncturelle d’automne de la CVCI, à laquelle près de 900 entreprises représentant 52’000 emplois ont répondu, montrent que la marche de leurs affaires a été meilleure que ce qu’ils attendaient au printemps dernier. Ils s’attendent toutefois à une légère détérioration de la situation au cours des six prochains mois. La bonne nouvelle, c’est que le marché de l’emploi ne devrait pas être trop affecté, les entreprises ayant déjà réduit leurs effectifs ou modéré l’embauche. Il pourrait même y avoir une évolution positive pour le personnel.
Le Monde Economique On sent une inquiétude assez généralisée. Comment assurer sur le long terme le succès de notre économie?
Guy-Philippe Bolay Les principaux facteurs d’incertitudes (pressions sur les marges, franc fort. Industrie, crise de la dette européenne, signaux contradictoires en Chine et aux Etats-Unis) montrent que la Suisse n’a pas vraiment de quoi se plaindre, en comparaison internationale. Le chômage reste à des niveaux très bas et l’économie poursuit bon gré mal gré son expansion. Face au franc fort, les entreprises ont réagi avec beaucoup de dynamisme: elles ont augmenté leurs achats en euros, ce qui constitue la couverture de change la moins coûteuse. Nos industriels assemblent toujours plus des produits fabriqués à l’étranger, se focalisant en Suisse sur la valeur ajoutée. Cette réactivité va sans doute se poursuivre: notre position d’îlot de cherté oblige les entrepreneurs à déployer des trésors d’imagination en matière de gestion des coûts et d’innovation.
Plus globalement, la meilleure garantie que l’on puisse apporter à la poursuite du succès de notre économie consiste à s’appuyer sur une économie très diversifiée. La Suisse, et le canton de Vaud en particulier, en sont des exemples. Aucune branche d’activité ne domine les autres, cela renforce la capacité de résistance de notre économie face aux crises sectorielles. Prenez la crise finacière de 2008, elle n’a eu qu’un impact très ponctuel, et limité, sur la pharma et l’horlogerie, par exemple.
Le Monde Economique Des mesures de soutien politique, de nature fiscale par exemple, auraient un impact moindre. Sans tomber dans le piège des subventions, comment l’Etat peut-il soutenir l’industrie d’exportation?
Guy-Philippe Bolay Je ne partage pas votre point de vue sur la fiscalité. Elle figure parmi les principaux facteurs de compétitivité. De manière générale, la Suisse dispose d’une fiscalité attractive, mais la moyenne nationale masque de grandes différences entre cantons et Vaud fait partie de ceux qui ont le taux d’imposition des bénéfices parmi les plus élevés de Suisse, avec Genève et Bâle. Il y a une marge de manœuvre pour soulager les sociétés et l’Etat devrait s’y atteler.
Une telle politique doit s’entendre comme un investissement: les impôts prélevés sur les entreprises sont autant d’argent qui n’est pas à leur disposition pour rénover, s’agrandir, prospecter de nouveaux marchés. C’est contre-productif. Le levier fiscal est donc l’un des premiers à actionner, à la baisse. D’ailleurs, nous y viendrons de toute manière en raison des pressions européennes sur nos régimes fiscaux spéciaux. Plus vite nous nous mettrons en conformité avec les pratiques internationales, en abaissant le taux d’imposition général et en supprimant les statuts spéciaux, plus compétitives seront nos entreprises. La CVCI s’est exprimée en ce sens à plusieurs reprises.
Outre le volet fiscal, l’Etat doit garantir une bonne formation, professionnelle et académique. En matière d’innovation, le canton a mis sur pied la plateforme Innovaud, qui permettra de soutenir trois fois plus de projets intéressants qu’aujourd’hui. La CVCI accueille le secrétariat de cette institution dont la création formelle est agendée au début 2013. Toujours en matière d’innovation, nous plaidons pour un accroissement des déductions fiscales en lien avec la recherche et le développement (R&D). Il s’agirait d’une mesure ciblée, axée sur l’avenir. Quant aux subventions, elles ne sont effectivement pas une solution: soit elles sont le fait du prince et donc inéquitables, soit on adopte le principe de l’arrosoir, et le montant n’est alors pas suffisant pour soutenir les entreprises. Sans compter qu’elles faussent le marché!
Le Monde Economique Les conditions cadres économiques ne plaident pas en faveur du tourisme en Suisse. Comment les PME du secteur du tourisme peuvent-elles s’adapter aux mutations du contexte économique actuel?
Guy-Philippe Bolay L’une des choses à faire est bien entendu de prospecter davantage encore les marchés émergents, où la clientèle capable de s’offrir des vacances en Europe est chaque année plus grande. Nous avons un avantage: notre tourisme est positionné dans le haut de gamme et c’est justement ce que recherche la nouvelle clientèle fortunée en provenance de Chine, d’Inde, de Russie ou d’Amérique du Sud. Le secteur touristique suisse doit aussi travailler à améliorer l’accueil et mettre les infrastructures hôtelières en adéquation avec les attentes actuelles. Avec le franc fort, le défi est de taille. Mais il n’y a pas vraiment d’alternative.
Le Monde Economique La Chine est le quatrième plus grand importateur de produits suisses derrière l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Italie. Un accord de libre-échange avec la Chine peut-il créer une fenêtre d’opportunité intéressante pour les entreprises suisses?
Guy-Philippe Bolay Tous les accords de libre-échange constituent un formidable appel d’air pour les échanges commerciaux entre les pays signataires. Les statistiques montrent que la croissance des exportations double rapidement par rapport aux quatre ans qui ont précédé la signature d’un tel accord. Vu sa taille et l’ampleur de son économie, la Chine constitue un enjeu de première importance. Les exportions suisses y ont quasiment quintuplé depuis 2000, ce qui représente une croissance moyenne annuelle de l’ordre de 35%. S’il y a un tassement cette année (-12% après dix mois) en raison du récent ralentissement de l’économie de l’Empire du Milieu, la Chine reste notre principal partenaire en Asie. Pour notre pays, la Chine constitue par ailleurs un client de premier choix, car ses consommateurs et ses entreprises sont friands de qualité, l’une des principales caractéristiques de nos produits. Ce pays est par ailleurs en perpétuel investissements, dans l’énergie, les infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires… Le potentiel est donc énorme!