Le Monde Economique Jacques Ayer, vous avez été nommé directeur du Muséum d’histoire naturelle et du Musée d’histoire des sciences par le conseil administratif de la ville de Genève en fin d’année 2011. Vous êtes entré en fonction le 1er mars pour 3 mois de codirection. Vous êtes officiellement en poste depuis le 1er juin 2012. Comment devient-on directeur de musée ?
Jacques Ayer Il n’y a pas un véritable cursus académique à suivre. J’ai personnellement un parcours à la fois muséologique et académique. Mon cursus sort un peu des sentiers battus.
En ayant travaillé comme conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel, j’ai mis en place un certain nombre d’expositions temporaires (conception, réalisation, médiation, accueil du public et quelques publications). Puis, pendant 5 ans, je suis retourné à des activités plus académiques comme responsable scientifique sur les fouilles paléontologiques le long de la future autoroute Transjurane dans le Jura. Par la suite, j’ai été durant plus de deux ans le conservateur du musée des sciences naturelles à Porrentruy pour enfin être nommé à Genève. Ce parcours m’a amené à toucher à peu près à tous les métiers du musée. Cela me permet aujourd’hui dans mon rôle de directeur d’être notamment plus à l’écoute des besoins de mes collaborateurs.
Le Monde Economique Lorsque vous avez pris vos fonctions, vous êtes-vous donné une mission ?
Jacques Ayer Le Muséum de Genève a entrepris depuis 2010 une évaluation interne pour faire un bilan de l’existant et définir d’éventuelles pistes de développement. Ma principale mission est de poursuivre et d’approfondir ce travail avec comme objectif principal la définition d’une vision globale et des enjeux futurs pour l’institution. Les trois mois de transition et de transmission des données au Muséum m’ont permis de rencontrer toute l’équipe, de lui faire part de mes intentions et de mieux cerner les fonctionnements et les compétences en place.
Trois missions claires incombent aux musées : Conservation des collections, recherche et diffusion du savoir. Le visiteur ne voit que la diffusion du savoir. Le reste, qui représente la plus grande partie de l’iceberg, est un monde un
peu caché. Des millions de spécimens sont par exemple rangés à l’abri dans les réserves du Muséum. Sans les collections et les scientifiques, il ne peut y avoir de bonne vulgarisation du savoir.
Le Monde Economique De quoi est constitué le quotidien d’un directeur de musée ?
Jacques Ayer Mon cahier des charges est partagé entre la gestion quotidienne de l’institution et les réflexions autour de son développement. L’administratif représente environ 50% du travail. Me dégager ¼ de temps pour réfléchir à la mission et à la stratégie est essentiel, car sans cela, on finit par tourner sur soi-même. Le dernier ¼ est réservé à la recherche scientifique ou à l’élaboration de projets muséographiques.
Enfin, mon rôle de représentation de l’institution à l’extérieur est également essentiel. Mon intention est de m’impliquer notamment dans le processus de création des expositions temporaires. Mon but est aussi d’insuffler un esprit d’équipe à l’ensemble des collaborateurs, notamment en privilégiant une communication interne transparente et efficace. Il faut à tout prix éviter le cloisonnement. Il est important de nous réunir régulièrement pour définir ensemble les principaux objectifs et enjeux de l’institution.
Le Monde Economique Plus de 250’000 visiteurs annuels au Muséum pour 8000 m2 d’exposition permanente à visiter sur 4 niveaux et demi (plus de 30 à 40’000 visiteurs au Musée d’histoire des sciences qui est rattaché au Muséum). Comment parvenez-vous à financer, développer et faire vivre ce lieu de culture et d’histoire naturelle ?
Jacques Ayer Nous avons la chance d’être le plus grand musée d’histoire naturelle de Suisse et de pouvoir disposer d’une équipe très importante. Le budget de fonctionnement (environ 15 millions de francs) nous permet de conserver nos collections, d’acheter du matériel scientifique et de financer des missions dans le terrain mais également et surtout de mettre en place de nouvelles expositions et des animations pour le public.
Le Monde Economique Notre monde est devenu très virtuel, comment voyez-vous l’avenir des musées en général et comment garder ces lieux magiques attractifs pour les petits et les grands ?
Jacques Ayer Il faut être à l’écoute de ce qui existe et être attentif aux nouvelles technologies. Il faut toujours se poser la question de ce qu’amène le musée comme plus-value par rapport à ce que l’on peut découvrir par les moyens virtuels. Rien ne sert de remplacer un objet par une image que l’on peut trouver sur Internet. Les gens viennent admirer les objets. Ce que je souhaiterais leur apporter, notamment par les expositions temporaires, c’est de l’émotion par des mises en scène fortes et originales qui vous mettent en condition pour mieux appréhender le message scientifique que l’on veut communiquer. Le gamin qui a été fasciné par une exposition et qui s’en souvient plus de dix ans après est une des grandes satisfactions dans notre activité.
Le Monde Economique L’entrée gratuite des musées est un cadeau de Genève aux visiteurs. Pensez-vous que la gratuité génère plus d’entrées ?
Jacques Ayer Je suis pour la gratuité. Cependant, je pense qu’elle comporte deux faiblesses. La première est que l’on ne peut pas comptabiliser un certain retour sur investissement même si les musées doivent rester des lieux à buts non lucratifs. La seconde est que les personnes perçoivent peut-être le musée avec moins d’attention et oublient parfois qu’il est précieux ? Considérer ce lieu comme un dû, une garderie ou un simple abri en temps de pluie conduit à une forme de dépréciation de sa richesse.
En ce qui concerne les expositions temporaires, je trouve que ce serait bien de marquer la différence avec un droit d’entrée. Le musée d’art et d’histoire le fait déjà. Verser même un montant symbolique offre de la valeur à l’événement et procure le plaisir de découvrir autre chose. C’est à discuter avec les politiques. Pour 2013, nous préparons une importante exposition temporaire.
Le Monde Economique Y-a-t-il des œuvres d’art ou de véritables pièces de collection dans vos murs ?
Jacques Ayer Dans les sciences naturelles, la valeur d’un échantillon de collection est représentée par sa rareté et son originalité. Il peut également revêtir une dimension historique. Lorsque vous identifiez une nouvelle espèce, le spécimen qui va servir à la décrire pour la première fois s’appelle le spécimen type. Il devient ainsi la référence mondiale pour toute autre découverte de spécimens appartenant à la même espèce. Nos collections renferment des milliers de spécimens types. Ce qui explique qu’elles sont régulièrement visitées par des chercheurs du monde entier. Mais la conservation de ce patrimoine nécessite des soins et une surveillance permanente pour garantir sa préservation à très long terme.
Le Monde Economique Le musée emploie des spécialistes, des experts et des scientifiques. Que font-ils ?
Jacques Ayer Notre équipe compte au total 105 personnes. Un bon tiers est composé de scientifiques dont la plupart ont une renommée internationale dans leur domaine. Leur mission est de développer et d’étudier les collections, de publier les résultats scientifiques de leurs recherches et de partager leurs connaissances avec le public. L’équipe des scientifiques est entourée d’autres spécialistes et techniciens dont les activités représentent une bonne vingtaine de métiers (responsables de la surveillance et de l’accueil, bibliothécaires, taxidermistes, menuisiers, décorateurs, graphistes, etc.).
Le Monde Economique Avez-vous ou envisagez-vous des interactions ou des partenariats avec d’autres musées d’histoire naturelle dans le monde ?
Jacques Ayer Il est important de développer des collaborations et des projets transversaux afin de lutter contre l’autarcie et l’autosuffisance. Nous collaborons avec les musées et les universités sur des projets de recherche communs. Des expositions peuvent être coproduites par plusieurs musées. Au niveau de la gestion des collections, nous échangeons en permanence des informations avec nos collègues du monde entier.
Le paradoxe du muséum de Genève, qui a un gros budget et une grosse équipe et donc une dimension européenne en termes de moyens, est considéré par beaucoup ici même comme un musée de quartier. Lorsque vous êtes à Neuchâtel vous n’en entendez pas parler. On entend beaucoup plus parler de celui de Neuchâtel avec ses dix collaborateurs. Personnellement, je viens de l’extérieur. Je suis persuadé que le Muséum de Genève avec ses grandes collections, ses nombreuses compétences et ses moyens peut rivaliser avec les autres grands musées européens. Il faut lui donner maintenant le rayonnement qu’il mérite pour accéder à cette réputation. Si nous voulons vraiment rayonner à notre juste valeur pour rendre à Genève et à la Suisse la puissance que nous avons entre ces murs, nous devrons nous ouvrir.
Le Monde Economique Quels sont vos désirs ou vos ambitions personnelles concernant l’évolution de ce musée ?
Jacques Ayer Ce musée est prestigieux. D’avoir été choisi pour sa direction est pour moi une belle consécration. C’est aussi un grand défi. Pour faire évoluer une structure muséale de cette envergure, il faut se donner du temps et être patient. Un des objectifs premiers est de définir une vision globale pour l’institution et d’identifier les principaux enjeux à venir. Ceci va permettre entre autres de fixer des objectifs réalistes et de définir les priorités. Il est important aussi de combattre l’inertie en évaluant régulièrement le fonctionnement de l’institution et ses prestations.
Parmi mes ambitions personnelles, j’aimerais reconsidérer notre offre muséographique. Les expositions sont pour moi le lien essentiel entre le public et nos activités internes. Elles sont aussi l’image de marque d’une institution muséale.
En 2016, le Muséum fêtera ses 50 ans à Malagnou. Ce sera l’occasion de revenir sur son histoire prestigieuse et de présenter un nouveau projet pour le Muséum et pour le Musée d’histoire des sciences.
Interview réalisée par Nicolas-Emilien Rozeau – Chroniqueur pour le magazine Le Monde Economique & Ecrivain