Interview de Jennifer Ackermann administratrice et fondatrice de « youarewelcome », une plateforme dédiée à l’échange de gardes d’enfants entre parents.
Patrice Bièvre
Monde Economique : Vous avez créé « youarewelcome » en 2015, Quelles sont les circonstances qui vous ont amenées à vous lancer dans un tel projet ?
Jennifer Ackermann : C’est suite à mon expérience personnelle que j’ai créé ce site. En effet, dès mon retour au travail après mon congé maternité, je me suis rendu compte à quel point il était difficile de jongler entre vie familiale et vie professionnelle. Et même en étant en couple et après avoir trouvé une maman de jour, puis plus tard une garderie, il y avait toujours des moments où personne ne pouvait nous dépanner pour garder notre fils. C’est ainsi que, je me suis retrouvée à devoir le prendre avec moi lors de mes rendez-vous chez le médecin ou de mes démarches administratives. Plus d’une fois j’ai dû refuser des formations, des soirées de réseautage ou des occasions de loisir à cause de cela. Sans oser trop en parler autour de moi et me sentant bien seule, j’ai alors cherché des solutions alternatives en passant par internet. A part des baby-sitters avec des tarifs inabordables pour moi (compter minimum CHF 30.- pour une soirée), je n’ai rien trouvé pour des demandes ponctuelles, des soirées et des weekends. Je cherchais désespérément un site me permettant de voir rapidement quels parents vivaient autour de moi et avaient les même besoins. Ne trouvant rien pendant longtemps, j’ai fini par le créer quelques années plus tard !
Monde Economique : Vous avez créé la plateforme « youarewelcome », alors que vous n’êtes pas informaticienne. A quel type de ressources avez-vous dû faire appel pour concrétiser ce projet ?
Jennifer Ackermann : J’ai dû sous-traiter la partie informatique à un professionnel, ce qui est très lourd financièrement parlant. Mais au delà de cela, j’ai tout réaliser moi-même, que ce soit la partie création, marketing, achats, stratégie, rédaction, relations et gestion d’équipe, ce qui est très enrichissant et qui m’a appris beaucoup. Puis je me suis rendue compte qu’il fallait que je trouve d’autres parents pour relayer les possibilités du site dans leurs communes et des fonds financiers dans le but de pouvoir le faire évoluer. Je suis donc actuellement activement à la recherche de responsables de secteur (parents qui relaient l’information dans leurs communes) et de fondations pouvant m’aider financièrement afin que le site puisse évoluer en fonction des demandes des membres. On peut déjà faire beaucoup de choses grâce au site (échange de points automatisés lors de gardes, création d’annonces rapides, inscriptions aux gardes, etc.). Cependant outre cela, il faudrait développer entre autres un système de « ranking » et de google map qui nous permettrait de voir d’où viennent tous nos membres (pour le moment on ne voit que ceux qui ont posté une annonce).
Monde Economique : La garde d’enfant est une activité lourde de responsabilité. Sur quels critères recrutez-vous les familles d’accueil ?
Jennifer Ackermann : Il ne s’agit pas de recrutement, mais de mise en contact entre familles avec enfants, comme lorsque vous vous arrangez entre voisins ou au sein de votre famille. D’autres systèmes rémunérant comme les accueillantes en milieu familial existent déjà, mais ce système demande d’énormes moyens financiers pour faire diverses vérifications et suivi administratif, ce qui ne serait pas possible avec cet abonnement annuel de seulement CHF 96.-. Je tiens à garder un tarif modique afin de permettre l’accès à une majorité de familles. De plus, les familles qui optent pour la solution de « youarewelcome.ch » ne le font pas pour obtenir une rémunération régulière, mais dans un but de rencontres et d’entre-aide gratuite et irrégulière. Elles offrent gratuitement une garde à des familles du site tout en profitant de gardes lorsqu’elles en ont elles-mêmes besoin, le tout en s’échangeant des points, ce qui permet une équité de traitement. Toutefois, je vérifie que les familles qui postent des gardes ont bien des enfants et une adresse répertoriée telle que mise dans l’annonce, de plus, je suis de près ce qui se passe entre les familles. S’il devait y avoir le moindre souci, les parents savent qu’il faut me prévenir, mais, à ce jour, tout s’est toujours merveilleusement bien passé.
Monde Economique : Récemment la municipalité d’Orbe a décidé d’offrir l’abonnement sur votre plateforme aux familles vivant sur son territoire. Pensez-vous qu’une telle initiative devrait se généraliser en Suisse ?
Jennifer Ackermann : Bien sur ! C’est un très beau geste que la commune d’Orbe a décidé d’accomplir et cela a vraiment permis d’agrandir le réseau d’Orbe. Les familles qui en bénéficient sont vraiment ravies et l’image de la commune en est sortie améliorée. Beaucoup de communes souhaitent soulager les familles de diverses manières mais n’ont pas toujours les outils pour le faire. Décider d’un partenariat avec « youarewelcome » est donc un moyen facile et très économique pour les communes d’offrir des solutions de gardes complémentaires concrètes aux familles qui en ont besoin. C’est pourquoi je suis actuellement en discutions avec plusieurs autres communes qui m’ont demandé des informations complémentaires. J’ai donc bon espoir que cette collaboration avec Orbe ne soit que le début d’une longue liste de communes qui pourront être sensibles aux besoins de leurs familles, en continuant bien sûr la mise en place de garderies, mais aussi en ajoutant à cette offre initiale des solutions additionnelles afin que les parents n’aient plus à s’inquiéter de ne pas avoir obtenu une place de garde ou de l’heure de fin de la garderie qui n’est pas toujours compatible avec leurs horaires de travail ou leurs besoins sporadiques.
Monde Economique : La réinsertion professionnelle des ex-mères au foyer n’est pas toujours évidente. Pensez-vous que votre plateforme pourrait participer activement à la formation de futures puéricultrices en Suisse ?
Jennifer Ackermann : Pas vraiment. De mon point de vue, le fait d’avoir un enfant est très formateur et le fait de garder les enfants des autres peut aider à développer des compétences sociales et organisationnelles, mais peut-on appeler cela une formation ? Je ne suis pas la bonne personne pour vous le dire. Et je ne pense pas qu’une majorité de mère au foyer souhaite débuter une carrière de puéricultrice car elles ont pour la plupart déjà un autre métier avant d’être maman. Par contre, le site peut les aider à se réinsérer dans un emploi d’une toute autre manière. Lorsque par exemple elles doivent aller à un entretien d’embauche mais qu’elles n’ont pas de solution de garde ou qu’elles doivent suivre une formation ou encore lorsqu’elles trouvent un emploi mais que faute de possibilités de gardes elles doivent le refuser. J’ai aussi beaucoup de parents indépendants sur le site, qui trouvent très pratique le fait de pouvoir faire garder leurs enfants de manière irrégulière, uniquement lorsque leur activité indépendante les oblige à confier leurs enfants, que ce soit à l’occasion d’un rendez-vous à l’extérieur, d’une séance de coaching ou d’un cours qu’ils vont devoir dispenser par exemple.