Photos à gauche Maxime Pallain et à droite Gégorie Linder © Olivier Evard
Maxime Pallain et Grégoire Linder Cofondateurs de RAIZERS
Monde Économique : Créée en 2014, RAIZERS est une plateforme de crowdfunding spécialisée dans l’immobilier, présente en Suisse, en France, en Belgique, au Luxembourg et en Italie. Vous êtes des amis d’école et ne venez pas de l’immobilier. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche entrepreneuriale ?
Maxime Pallain : D’une certaine manière, personne ne vient vraiment d’un secteur d’activité avant de l’avoir commencé (sourire). Nous ne venions pas non plus du monde de la blanchisserie avant d’ouvrir des pressings en 2011 ! Pour nous, ce qui nous a d’abord motivés, c’était une envie profonde de créer et développer une société, de la faire grandir, et de mûrir auprès de personnes qui nous font confiance, et surtout, avec lesquelles nous passerions de bons moments. Parce que finalement, c’est ça une entreprise : un groupe de personnes qui travaillent ensemble pour atteindre un objectif commun. Je pense qu’avec RAIZERS, c’est ce qu’on a réussi à faire : une boîte leader sur son marché grâce à des personnes qui sont heureuses de venir au bureau le matin et de se voir. De ce point de vue-là, l’objectif est largement atteint.
Monde Économique : Vous avez quitté vos emplois respectifs pour vous mettre à votre compte, et pendant plus de deux ans, vous n’avez pas eu de salaire. Dans ces moments d’incertitude, comment avez-vous surmonté le doute ? Qu’est-ce qui vous a servi de boussole ?
Grégoire Linder : La seule vraie grande difficulté a été de prendre la décision de quitter nos jobs. C’est un peu la même chose quand on est en haut du plongeoir et qu’on se demande « j’y vais, j’y vais pas… ». Une fois que vous avez sauté, vous êtes dedans et il faut gérer ! Dans notre cas, être deux a beaucoup aidé, car on confronte tous les jours nos idées. Et puis, quand vous êtes deux à faire passer la société avant tout, généralement vous faites les bons choix.
C’est vrai qu’on doute tout le temps (encore aujourd’hui), mais il faut avancer et tester des choses différentes en permanence pour ne conserver à la fin que ce qui fonctionne. Au fil des années, nous avons pris beaucoup de petits risques mesurés, et ce sont autant de succès qui ont construit RAIZERS. Pour finir, je dirais que notre Nord, c’est d’avoir la certitude que c’est possible. Je reprendrai cette phrase des Bronzés qui illustre bien notre attitude : « Oublie qu’t’as aucune chance, vas-y, fonce ! » En gros, il faut avoir envie, ne pas se poser trop de questions, et se lancer.
Monde Économique : Aujourd’hui, RAIZERS fait partie du top 5 des meilleures plateformes de financement participatif en Europe. La petite startup suisse joue désormais dans la cour des grands. En fin de compte, quelles sont les clés de votre succès ?
Maxime Pallain : Une fois que l’on a trouvé le business model parfait en 2017, trois ans après avoir créé la société, on a vite su que c’était la bonne recette. Ensuite, la clé pour réussir était de bien recruter et de nous entourer de personnes qui sauraient mieux faire le travail que nous, et ce à tous les niveaux : des analystes financiers et marketing, des juristes et des commerciaux. Mais les compétences pures et dures ne suffisent pas. C’est pourquoi nous avons porté une attention particulière aux softs skills, ce qui nous a permis de composer une équipe solide et soudée, avec une super culture d’entreprise. Ainsi, l’ambiance est assez exceptionnelle, je pense que nous avons un super équilibre entre travail et moments d’équipe. Grâce à cela, l’implication individuelle dans le succès collectif devient sacrément puissante, et je pense que d’une manière ou d’une autre, les clients investisseurs ou opérateurs immobiliers le ressentent quand ils viennent chez nous. Ça donne envie !
Monde Économique : Beaucoup de personnes ignorent qu’entre la création de RAIZERS en 2014 et la plateforme d’aujourd’hui, votre modèle économique a beaucoup évolué. Comment l’expliquez-vous ?
Grégoire Linder : C’est vrai, initialement l’idée était d’accompagner des startups dans leur recherche de fonds, en les présentant à notre communauté d’investisseurs sur notre plateforme. Nous levions entre 300 000 € et 2 000 000 € par société, chaque fois avec quelques centaines d’investisseurs. Pour être franc, ça a plutôt bien fonctionné : notre communauté d’investisseurs a augmenté rapidement et les startups que nous avons financées sont devenues, pour certaines, de très belles sociétés, à l’instar de Czapek, la marque de montres suisses que l’on ne présente plus et qui croule sous les récompenses à travers le monde. C’était d’ailleurs notre premier dossier en Suisse.
En 2016, nous avons eu l’occasion de financer une opération immobilière, en prêtant cette fois à un promoteur. L’opération a beaucoup plu car il s’agissait d’un prêt qui rémunérait à hauteur de 10 % par an sur deux ans, et cela avec de belles garanties. Le dossier s’est financé très vite et nos investisseurs étaient demandeurs ; le dossier a même été sursouscrit. Le produit d’investissement était exceptionnel, alliant un rendement élevé sur une durée courte avec un sous-jacent immobilier. D’une certaine manière, cela a été le déclic.
Nous nous sommes concentrés sur cette verticale, et les investisseurs particuliers et professionnels (p. ex. banques privées, family offices) ont commencé à nous suivre et à investir. C’était la naissance du crowdfunding immobilier, chez nous comme chez les autres, un marché qui aujourd’hui domine très largement le secteur et représente plusieurs milliards de CHF au niveau européen.
Monde Économique : Le groupe Empruntis, leader français du courtage en crédits et en assurances, a annoncé en juillet dernier avoir racheté l’intégralité du capital de RAIZERS. Avec cette intégration, RAIZERS vise d’ici 2025 près de 1 milliard d’euros de collecte cumulée. Peut-on parler d’une fin heureuse ?
Maxime Pallain : Le cycle complet de la startup avec toutes ses phases a été bouclé. D’abord, la création dans le « garage », quand nous étions un des premiers locataires des Ateliers de Renens, cette ancienne imprimerie vaudoise transformée en « hub » de startups – mais en 2014, c’était plutôt une usine désaffectée avec des bureaux de récupération. Au début, nous étions trois personnes sur un plateau de 1000 m2 ! Ensuite, c’était une phase vraiment stimulante : la mise en pratique et les premières confrontations à notre marché, en sortant de la théorie. Puis, deux ans furent consacrés à la construction de notre business model, pendant lesquels nous avons testé beaucoup de choses pour arriver à l’immobilier. Ces phases ont pleinement participé à la construction de RAIZERS. Comme nous le disions plus tôt, le crowdfunding immobilier est un secteur d’avenir, et nous l’avons identifié rapidement dès les premiers dossiers financés. Pendant cette phase, nous savions que nous étions « on track », et il fallait désormais gérer cette croissance de plus de 100 % par an sur cinq ans.
Nous sommes maintenant sur un gros secteur qui va encore beaucoup grandir dans les prochaines années. Les plus grands acteurs de la finance s’y intéressent non seulement en Suisse, mais aussi en Europe. L’année dernière, nous nous sommes dit que c’était le moment de se rapprocher d’un grand acteur qui pourrait nous aider à conserver cette extraordinaire croissance et à développer de belles synergies dans les années à venir. Donc, pour répondre à votre question : oui, pour nous, c’est une belle histoire, car partis d’un simple fichier Word en 2014, nous visons 10 ans plus tard une collecte de l’ordre d’1 milliard d’euros. Nous sommes assez fiers du résultat.
Monde Économique : Avec le recul, que feriez-vous différemment ?
Grégoire Linder : Fondamentalement, pas grand-chose ; nous avons eu besoin de toutes ces petites erreurs et de tous ces petits succès pour nous construire une identité d’entrepreneur. Évidemment, on pourrait probablement changer beaucoup de choses, mais vu le résultat que nous obtenons aujourd’hui, nous ne changerions rien. Nous sommes arrivés exactement où nous rêvions d’être il y a huit ans !
Monde Économique : Finalement, pour vous, c’est quoi l’entrepreneuriat ?
Maxime Pallain : Chacun a sa perception et sa propre définition de l’entrepreneuriat, et elles sont toutes valables. Pour nous, l’expérience de l’entrepreneuriat, c’est plus un état d’esprit : il faut accepter de gagner ou de perdre, toujours décider pour l’entreprise et pas pour soi, abandonner l’ego, savoir s’entourer des bonnes personnes, travailler et encore travailler, prendre du temps pour soi, essayer de rigoler un peu même pendant la tempête, beaucoup se parler, ne pas garder de choses pour soi, partager ses idées, surtout celles qui sont délirantes.
L’entrepreneuriat, c’est une envie de construire en équipe, c’est aussi une compétition au long cours avec les concurrents. L’entrepreneuriat, c’est une envie de liberté sans vraiment être libre, parce qu’on est vite rattrapé par le poids des responsabilités. Ce sont des moments de stress intense, de doute, de déception aussi. L’entrepreneuriat, c’est un peu ce qu’on a envie que ce soit : on modélise son entreprise selon ses envies et son rythme, et c’est cela qui est extraordinaire !
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