Interview de Me Thierry Afschrift – Avocat Fiscaliste
Monde Economique Quel état des lieux peut-on faire aujourd’hui de la fiscalité en Suisse et à Genève ?
Thierry Afschrift Notre étude a des bureaux dans plusieurs pays étrangers – Luxembourg, Belgique, Espagne, Israël, Hong Kong – et est donc en mesure de comparer l’attractivité de la Suisse avec des pays étrangers, notamment, mais pas uniquement, pour les «expatriés fiscaux» français. Il en résulte que la Suisse reste un pays très attrayant pour des individus souhaitant changer leur résidence pour des raisons fiscales, entre autres. Elle peut parfois souffrir de la concurrence de Londres, pour les personnes exerçant une activité, ou du Portugal, pour les retraités, mais la Suisse reste globalement un havre recherché, surtout par ceux qui ne sont pas seulement obsédés par l’aspect fiscal et cherchent également une vraie qualité de vie.
Il faut en revanche reconnaître que, pour ces personnes, Genève peut paraître moins attrayante que d’autres cantons, en raison du niveau excessif de son taux d’impôt sur la fortune. Chacun sait qu’il excède actuellement largement le rendement passif d’un capital et cela peut constituer un problème. Le niveau des forfaits fiscaux est également en pratique plus élevé à Genève qu’ailleurs.
Monde Economique Vous êtes spécialisé dans le family office. La plupart sont situés à Londres et à Genève. Cette activité a-t-elle bénéficié à Genève de l’effet Brexit?
Thierry Afschrift On ne peut pas encore tirer de conclusion du Brexit, qui n’a pas encore commencé. Le family office lui-même n’a pas vraiment besoin d’être situé dans un lieu attrayant sur le plan fiscal, mais il lui faut des traditions et des législations protégeant la confidentialité. Cela implique pour la Suisse un avantage considérable, en raison de sa tradition plus importante de respect de la sphère privée et de la qualité de son environnement financier. Londres est, de ce point de vue, le principal concurrent de la Suisse, que le Royaume-Uni se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne. A mon avis, le niveau de la bureaucratie européenne est devenu à ce point important qu’il est de plus en plus avantageux d’être hors de cette zone, ce qui est bien sûr le cas de la Suisse et sera bientôt aussi celui de la Grande Bretagne.
Monde Economique D’autres places sont-elles en train d’émerger dans le secteur financier ?
Thierry Afschrift Depuis 2008, les choses ont beaucoup bougé au niveau financier et particulièrement dans le domaine de la gestion des capitaux privés. L’échange automatique d’informations a mis fin, pour les non-résidents, au secret bancaire, et d’une manière générale, l’emprise des Etats s’est malheureusement accentuée très sensiblement à tous les niveaux, notamment dans le domaine financier, qui est sans doute le plus contrôlé de tous. Cela implique évidemment certains chambardements au niveau de la répartition du marché mondial. De ce point de vue, des places comme Hong Kong et Singapour ont certainement progressé, et il y a un intérêt croissant pour les places, comme Luxembourg, qui sont spécialisées dans des « marchés de niche ». Cela implique une plus grande imagination au niveau de la législation et, de ce point de vue, il faut reconnaître que la Suisse aurait plutôt intérêt à suivre le modèle luxembourgeois. Le Grand-Duché a créé de nombreuses possibilités avantageuses, pas seulement sur le plan fiscal, pour les entreprises, et l’on a parfois l’impression que la Suisse manque de réactivité dans ce domaine.
Monde Economique Sur le plan fiscal, la Suisse, et Genève en particulier, sont-elles toujours compétitives pour les entreprises ?
Thierry Afschrift Le rejet de la réforme fiscale, par votation, a créé une insécurité. L’idée de supprimer les avantages fiscaux pour les entreprises étrangères et de réduire le taux d’impôt pour toutes les sociétés paraissait excellente, et il me semble qu’il faut persévérer sur la même voie. Si l’on y arrive, cela placera la Suisse à un niveau comparable à celui des pays les plus avantageux en Europe, comme l’Irlande, avec des taux peut-être légèrement plus élevés, mais un climat réglementaire beaucoup plus attractif. Il faudrait donc tenter d’obtenir des résultats, dans le domaine légal, sur ce plan-là, si l’on veut que les investissements étrangers continuent à venir en Suisse. Dans tous les cas, il faudrait que la clarté revienne rapidement parce que l’investisseur a surtout peur des situations instables.