Interview de Paula Capona: J’ai remarqué que souvent le manque de structures dédiées à la gestion des différences culturelles se faisait cruellement sentir

5 octobre 2016

Interview de Paula Capona: J’ai remarqué que souvent le manque de structures dédiées à la gestion des différences culturelles se faisait cruellement sentir

Interview de Paula Capona, une universitaire travaillant sur l’optimisation des politiques d’accueil des communautés étrangères en Suisse.

Monde Econoique: La Suisse a toujours été un pays d’immigration réussie. A votre avis pourquoi un nouveau dispositif de soutien à l’intégration des étrangers s’avère nécessaire ?

Paula Capona: En réalité, je ne pense pas chercher à créer un « nouveau » dispositif d’intégration des migrants au sein de notre système social, mais plutôt d’améliorer le dispositif déjà existant pour en optimiser le potentiel présent et futur. En d’autres termes, à l’époque de mes parents, notre confédération avait un réel besoin de main d’œuvre dans tous les secteurs de son économie. Je n’annonce rien de nouveau en précisant qu’actuellement les personnes faisant partie de la vague migrante actuelle ne viennent pas du même tissu social que celui d’il y a trente ans. Il s’agit pour beaucoup d’universitaires, d’enseignants, de médecins, d’avocats, et d’entrepreneurs. Donc pour en revenir à votre question, oui il me semble nécessaire, voir primordial d’adapter le soutien à l’intégration de ces personnes et de leur famille afin qu’elles puissent mettre à disposition de notre système économique et social leurs compétences intellectuelles ainsi que leur savoir-faire. Valoriser chaque personne c’est aussi valoriser notre pays.

Monde Economique : Des structures comme « l’Entraide Protestante Suisse » ont déjà mis en place des dispositifs de mentorat au profit des étrangers. Que comptez-vous apporter de plus par rapport à ces pionniers ?

Paula Capona: A mon sens les structures existantes telles que l’EPER ainsi que toutes les autres institutions poursuivant le même objectif font un travail remarquable. C’est pour cela qu’apprendre à travailler ensemble nous permettra non seulement de réaliser des économies d’échelle mais aussi de mieux gérer les situations difficiles, grâce à une meilleure identification des interlocuteurs susceptibles de venir en aide au public concerné. Après plusieurs réunions avec différents corps diplomatiques et associations nationales, j’ai remarqué que souvent le manque de structures dédiées à la gestion des différences culturelles se faisait cruellement sentir. Il s’agit là de créer une plateforme relayant ainsi au sein des infrastructures existantes, communautaires et diplomatiques, toutes les informations utiles, susceptibles de faire en sorte qu’un migrant puisse évaluer précisément son potentiel d’épanouissement dans notre pays. Cette plateforme aura aussi pour mission d’informer les entrepreneurs sur les compétences disponibles dans notre pays. Le but étant de permettre aux migrants d’atteindre une indépendance économique plus rapide en créant également des boosters microéconomiques dans chaque communauté existante dans notre pays.

Monde Economique : Si je vous ai bien compris chaque année avec l’immigration la Suisse enrichit ce que les japonais appellent son trésor national vivant. En quoi ceci peut-il déboucher sur un avantage concurrentiel pour la Suisse ?

Paula Capona: En effet, selon moi l’évidence voudrait que le trésor national vivant d’une nation soit l’ensemble des compétences disponibles dans tous les domaines à l’origine de la réussite économique d’un pays. Sachant que 58% des migrants sont titulaires d’un diplôme de l’éducation supérieure il est évident qu’il s’agit là d’un apport inestimable pour les entreprises Suisses ayant du mal à trouver de la main d’œuvre qualifiée. Soyons claire, il est indéniable que le risque pour les salariés Suisse de perdre leurs emplois à cause d’un entrepreneur faisant le choix d’engager un atout intellectuel pour son entreprise à un salaire moindre sera toujours présent. Cependant le système a les moyens de mettre en place des garde-fous. Et si je peux me permettre de citer un exemple, d’après d’une étude publiée en 2016 par « La National Foundation for American Policy » plus de la moitié des start-up évaluées à 1 milliard de $ minimum aux USA ont été créés par des immigrés. Ça donne à réfléchir ne trouvez-vous pas ?

Monde Economique : Très souvent les étrangers qui réussissent en Suisse ont tendance à rester discrets. Quelles sont les secteurs de l’économie où les étrangers ont réussi à apporter un plus à l’économie Helvétique ?

Paula Capona: Ceci est l’illustration de ce vieux proverbe, « Pour vivre heureux vivons cachés » cela me semble normal au vue de la culture Suisse mais regrettable pour les générations futures de migrants. Socialement parlant nous avançons et nous nous battons grâce aux « success stories » qui alimentent notre quotidien. Le fait de ne pas douter de notre capacité à atteindre le succès ou la réussite, que nous soyons migrant ou citoyen suisse est important. Nestlé, Swatch, Brown Boverie & Cie sont autant de grandes sociétés créées par des migrants qui sont finalement devenues des piliers de l’économie Suisse. Derrière ces réussites, on trouve des hommes qui ont su surmonter leurs peurs afin de repousser leurs limites, et utiliser leurs propres moyens pour avancer. Au travers de cette plateforme je souhaite faire passer le message suivant : il n’existe pas une recette à la réussite si ce n’est, croyez en ce que vous savez et construisez avec ce que vous avez à votre disposition.

Monde Economique : Si je vous ai bien compris les différentes institutions en charge de l’accueil des étrangers devront s’adapter à cette situation nouvelle. Mais à votre niveau comment comptez-vous contribuer à faire évoluer les choses ?

Paula Capona: A mon humble avis, je pense qu’il y a deux choses qui me confèrent un minimum d’autorité de compétence sur ce sujet ; mon statut de fille de migrants et ma connaissance du système économique et social de la Suisse. Mes parents, qui sont tous les deux sourds-muets, ont débarqué du Chili en 1985, cela n’a pas été évident pour eux car ils ont tout de suite été considérés comme « handicapés ». Malheureusement le système social bien que déjà bienveillant à cette époque n’était pas encore prêt pour gérer les situations sortant de l’ordinaire. Il n’a pris en compte que le handicap que la nature leur a imposé au détriment de leurs compétences professionnelles. Avec la fin du secret bancaire l’économie suisse aura besoin de se réinventer. Notre pays devra faire appel à toutes les compétences disponibles sur son territoire pour mener à bien un tel projet. Pour ma part, mon intérêt pour les questions relatives aux politiques d’immigration est le résultat de plusieurs années d’étude et de réflexion. Forte de mon expérience personnelle, et des connaissances acquises lors de mon MBA en matière de relations internationales, j’ai décidé de proposer mes compétences à toutes les institutions publiques et privées désireuses de soutenir les projets de création d’entreprises initiés par des migrants. Aujourd’hui encore, il m’est difficile d’accepter l’idée qu’il puisse y avoir un médecin qui fut réputé dans son pays faisant la plonge dans une cantine à Lausanne, alors que la Suisse manque de personnel médical.

Paula Capona : 078 670 0804

Photo prise au Royal Savoy de Lausanne que nous remercions

 

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