Interview de Vincent Graenicher: Chaque année sur demande nous organisons des visites de notre domaine associées à des séances de dégustation

25 août 2016

Interview de Vincent Graenicher: Chaque année sur demande nous organisons des visites de notre domaine associées à des séances de dégustation

Interview de Vincent Graenicher, vigneron encaveur et propriétaire des Domaines de Penloup et d’Es Cordelières, dans le canton de Vaud.

Monde Economique: Depuis plusieurs générations vous êtes vigneron encaveur dans votre famille. En quoi consiste ce métier ?

Vincent Graenicher: Un vigneron encaveur est un artisan qui intervient à tous les stades de la production du vin. Son travail va de la culture de la vigne à la commercialisation du vin en passant par son élevage en cave. Cette profession en Suisse regroupe près de 600 professionnels installés dans toutes les régions de la confédération. Seul un tiers des producteurs de vin ont droit à ce statut. L’ensemble de la profession est à l’origine de 30% de la production viticole. En Suisse la profession est très encadrée. Le vigneron encaveur est un professionnel qui n’est pas autorisé à pratiquer le négoce du vin. Ne peuvent accéder à ce statut que les viticulteurs exploitant une vigne, en qualité de propriétaire ou de locataires. Les vignerons encaveurs peuvent vendre tout ou partie de leur récolte en bouteille, sous un label propre. Ils sont responsables de la qualité de leur production. Les contraintes en matière de sécurité sanitaire font, que dans cette profession on ne trouve que des professionnels qualifiés. Pour ma part je n’ai pu accéder à ce statut qu’après l’obtention d’un CFC de viticulture et la préparation d’un diplôme en viticulture et en œnologie à l’école d’Ingénieurs de Changins. En complément de ce cursus initial, j’ai préparé un brevet de caviste et j’ai effectué plusieurs stages à l’étranger dans de grandes régions viticoles comme la Napa Vallée en Californie. Le vigneron encaveur est un professionnel qui doit maîtriser tant au niveau de la viticulture qu’au niveau de la vinification l’ensemble des processus de production à l’origine de la production d’un vin de qualité. C’est là que ce vieux dicton populaire prend tout son sens : Point donc de miracle à la cave. Seul un raisin irréprochable pourra donner un vin de bonne qualité. Sur le plan viticole, ce résultat s’obtient par la recherche de la bonne adéquation entre le sol, le cépage et le climat. A cette première condition vient s’ajouter une autre, un bon vin est un nectar équilibré où aucune de ces trois composantes (acide/gras/tanin) n’écrase franchement l’autre.

Monde Economique: Vous avez décidé de vous lancer dans la production de vin bio. Est-ce par conviction personnelle ou pour mieux répondre aux exigences des consommateurs?

Vincent Graenicher: Mon intérêt pour le bio relève plus d’une prise de conscience personnelle que d’une démarche marketing. Cette prise de conscience découle non seulement de mes recherches sur le sujet mais aussi de ma volonté de pratiquer une viticulture plus respectueuse de la nature. Selon moi le bio est la seule option qui me permettra de préserver mon outil de travail, afin de le transmettre aux générations futures. Depuis que je me suis mis au bio la façon dont j’exerce mon métier a complètement a changé. Par exemple, pour protéger mes grappes de raisins des invasions de vers comme l’Eudémis et la Cochylis, je n’utilise plus d’insecticides, mais la technique de la confusion sexuelle. Pour se faire, je diffuse en grande quantité dans l’atmosphère des phéromones synthétiques qui vont perturber la phase de rapprochement entre les papillons mâles et femelles. Ce phénomène a pour but de réduire la production d’œufs. En conséquence la population de chenilles présentes dans la vigne étant nettement plus réduite les dégâts sur les grappes seront moindres. Cette technique a de plus en plus le vent en poupe car elle est non toxique pour l’homme et l’environnement. Chaque année pour repousser la date de la première fauche mécanique, je laisse paître des moutons au milieu de mes vignes. Pour ce qui est de l’adoption du bio je suis en phase de test et d’observation, si tout se passe bien j’espère bien réunir rapidement toutes les conditions pour obtenir un label 100% bio.

Monde Economique: Sur votre exploitation vous avez décidé de privilégier le travail manuel au détriment de la machine. Un tel choix ne risque-t-il pas d’impacter la rentabilité de vos deux domaines à terme ?

Vincent Graenicher: Sur notre domaine nous utilisons toujours des machines pour couper l’herbe ou cisailler les ceps. Mais pour toutes les interventions sur la vigne comme la taille ou les vendanges nous privilégions le travail manuel. Il ne faut pas oublier que la vigne à la base est une liane sauvage rampante qui a été domestiqué par la main de l’homme. Grâce aux anciens nous savons que la vigne affectionne les terrains en pente car ils bénéficient d’un meilleur ensoleillement, il en est de même pour les sols pauvres qui l’incite à aller chercher au plus profond de la terre à l’aide de ses racines, les ressources en eau dont elle a besoin chaque jour afin de ne pas être dépendante de pluies aléatoires. Nous savons également que si le raisin est vendangé au bon moment, le processus de vinification se réalisera de lui-même et donnera avec une forte probabilité un bon vin. Ces faits sont là pour nous rappeler que, seule la main experte de l’homme peut contribuer à la production de bonnes grappes qui une fois pressés à leur tour par la magie de la chimie naturelle donneront un bon vin. Donc en somme notre choix est tout à fait logique et nous devons l’assumer au niveau de notre poste de charges. Pour l’entretien de mes deux vignobles vaudois qui sont deux exploitations familiales avant tout, je m’appuie sur un ouvrier à temps plein, l’huile de coude familiale et un réseau d’amis fidèles et passionnés, qui viennent travailler de temps en temps sur mes domaines à l’occasion d’évènements majeurs comme les vendanges.

Monde Economique : Vos organisez régulièrement des séances de dégustation sur votre domaine. Selon vous un bon vin a-t-il besoin d’être mis en scène pour séduire le consommateur final ?

Vincent Graenicher : Forcément, puisque un vin aura beau être de qualité s’il n’est pas mis en valeur, jamais il ne se vendra. Ceci vient du fait que dans le monde entier le vin est réputé pour être un breuvage chargé d’histoire, de rêve et de plaisir. Aujourd’hui le consommateur aspire à passer du stade de néophyte à celui de fin connaisseur. Il est de notre devoir en tant que professionnel de l’accompagner dans cette transition en lui donnant des outils pédagogiques appropriés. Parmi ces outils on trouve en premier lieu l’étiquetage qui joue un rôle important pour attirer l’attention du consommateur. Si vous prenez notre produit phare « le Domaine Es Cordelières » un pur chasselas, reconnu depuis 2012 comme étant un premier grand cru vaudois, le choix de son étiquetage ne relève point du hasard. Son étiquetage a été conçu de manière à ce que le consommateur puisse associer immédiatement ce vin à son lieu de production. En regardant l’étiquette d’un simple coup d’œil, vous reconnaîtrez la magnifique demeure du 16 éme siècle construite sur notre domaine et le vignoble qui l’entoure avec en filigrane le plan cadastral de notre parcelle. A côté de cela pour que nos clients puisse apprécier nos vins nous avons investi dans un espace de dégustation moderne et convivial. Contrairement aux apparences ce n’est pas un bar mais un espace de mise en éveil de la vue de l’odorat et des papilles gustatives. Ces trois sens nécessaires à la découverte du vin. Chaque année sur demande nous organisons des visites de notre domaine associées à des séances de dégustation où nos clients peuvent venir découvrir nos vins tout en dégustant des spécialités culinaires vaudoises. Lors de ces séances tout est mis en œuvre pour que nos clients
puissent mémoriser dans leur subconscient les qualités intrinsèques de nos produits.

Monde Economique : Le vin suisse est encore peu connu dans le monde. Quelles mesures concrètes pourrait-on prendre pour remédier à une telle situation ?

Vincent Graenicher : Il est vrai que les vins suisses souffrent d’un problème de visibilité à l’étranger en dépit des qualités qui leurs sont reconnues. Cette situation est regrettable mais elle est tout à fait logique. Même si nos vins sont régulièrement primés lors des concours internationaux, il faut savoir que pour le moment la superficie du vignoble suisse ne lui permet d’exporter que 1% de sa production. La petitesse du vignoble suisse qui s’étend sur une surface de 14 820 hectares est un handicap pour que nous puissions récolter les fruits de notre notoriété. La petite taille des exploitations viticoles suisses fait que nos coûts de production sont nettement supérieurs à ceux de nos concurrents étrangers. Tout ceci fait que quoiqu’il arrive le marché du vin en suisse sera toujours un marché de niche orienté plutôt vers le haut de gamme. Fort de ce constat nous devons travailler à fonds nos avantages concurrentiels. Dans le métier du vin en Suisse on trouve de grands professionnels comme, « Paolo Basso » reconnue comme meilleur sommelier du monde en 2013 au Japon, et des dizaines de cépages locaux inconnus ailleurs comme la Petite Arvine, le Gamaret et le Garanoir. Les producteurs de vin suisses ont eu l’intelligence de ne pas se lancer dans une politique de standardisation des goûts. Aujourd’hui nos vins ont des goûts subtils et uniques. C’est sur cela que nous allons devoir communiquer pour consolider nos positions sur le marché local. Par ailleurs nous avons la chance d’avoir des vignobles situés dans des régions bénéficiant d’un panorama exceptionnel. La beauté des paysages qui se révèlent à la vue du visiteur se déplaçant en bateau de Genève à Montreux est une évidence reconnue dans le monde entier. Outre cela chaque année, on y organise de nombreuses manifestations en l’honneur du vin, où il règne une ambiance très conviviale. Force est de constater que certaines d’entre elles ne sont pas suffisamment médiatisées. Le constat est simple nous disposons de nombreux atouts pour développer un oenotourisme de qualité à effet multiplicateur certain pour notre économie. Notre canton est proche de Genève une ville où, plusieurs sociétés et organisations internationales ont leur siège. Les expatriés officiant au sein de ces institutions sont autant de candidats potentiels pour développer une telle offre.

 

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