Le Monde Economique Le label du bilinguisme, comparable à la certification ISO, atteste qu’une entreprise entretient le bilinguisme, tant vis-à-vis de la clientèle que de son propre personnel. Une telle certification a-t-elle une visée culturelle (promotion de l’une de nos langues nationales) ou on peut également y entrevoir un bénéfice économique ?
Virginie Borel Les deux vont de pair ! A l’origine, le Label du bilinguisme est un instrument économique permettant de certifier à l’externe les compétences bilingues voire plurilingues de l’entreprise ou de l’administration. Cet instrument constitue non seulement une plus-value face à la concurrence, mais permet également d’identifier les compétences linguistiques à l’interne de l’entreprise. Celles-ci représentent une ressource culturelle intéressante à cultiver par les ressources humaines, en sus du profil de base de chaque poste. Ces compétences culturelles, lorsqu’elles sont connues, peuvent servir dans le cas de contacts avec une clientèle/un public spécifique.
En outre, travailler en allemand et en français permet de supprimer les filtres culturels qui ont pour conséquence d’altérer la communication et donc de réduire l’efficacité du travail. En effet, une langue est avant tout un vecteur de communication culturelle !
Le Monde Economique Certaines entreprises comptent quelques membres du personnel qui sont bilingues, toutefois, le français ou l’allemand est souvent la langue d’usage et commerciale dans la région. Dans un tel cas, y-a-t-il un intérêt de créer une dépense supplémentaire dans la formation d’une deuxième langue au sein de l’entreprise?
de créer une dépense supplémentaire dans la formation d’une deuxième langue au sein de l’entreprise?
Virginie Borel Le Label du bilinguisme a en effet été prioritairement développé pour les régions bilingues où les forces de travail bi-plurilingues sont théoriquement à disposition : l’idée de base visait à souligner l’argument marketing linguistique face à un public de proximité, à rassurer la minorité linguistique, mais également à montrer le potentiel d’équipes de travail bilingues. Or, sur un marché suisse voire international, on constate que les cantons disposant d’une frontière linguistique sont également intéressés à cet outil. Ainsi, nous avons des projets plus ou moins avancés avec Fribourg, Morat, le Valais, mais aussi Bâle et Neuchâtel pour l’implantation régionale ou ponctuelle du Label.
Le Monde Economique Comment une entreprise peut-elle s’y prendre pour cibler les besoins de formation linguistique de ses employées ?
Virginie Borel Il s’agit prioritairement, pour l’entreprise, de définir les langues comme une priorité ou une stratégie de développement. Comme vu précédemment, l’étape suivante réside dans le fait d’identifier les compétences linguistiques dont bénéficie l’entreprise : tout ou partie des salariés disposent de richesses linguistiques souvent insoupçonnées. Selon les objectifs visés et les compétences présentes, on peut mettre en place des tandems au sein de l’entreprise pour une amélioration des connaissances orales, proposer des cours lorsque cela s’avère nécessaire pour l’entreprise, voire entreprendre des échanges entre filiales du même groupe, ou entres administrations cantonales (une expérience de ce type existe pour les apprenti-e-s de commerce des cantons de BE, FR et NE).
Le Monde Economique Certaines entreprises (banques, assurances, import/export…) ont des relations commerciales avec d’autres entreprises à l’étranger. Le développement de ce commerce nécessite donc une correspondance dans une langue commune. Ne pensez-vous pas que l’anglais soit plus adéquat que l’apprentissage d’une deuxième langue nationale?
Virginie Borel Aujourd’hui disposer de l’allemand, respectivement du français, au nombre de ses compétences est un avantage supplémentaire puisque, par définition, on se doit de maîtriser l’anglais si l’on travaille à l’international.
Soulignons toutefois que le tissu économique suisse est largement constitué de PME rayonnant prioritairement au niveau national : pour elles, la clientèle est prioritaire. Le fait de soumettre des offres puis de proposer des prestations ou des produits dans la langue-cible est alors central. Il est économiquement peu voire pas viable de communiquer en anglais lorsque l’enjeu commercial se situe à l’intérieur des frontières nationales !
Le Monde Economique Dans la vente, la distribution ou même la restauration, certaines entreprises doivent s’adapter à une clientèle internationale. Souvent, les possibilités de formation sont limitées dans des domaines spécialisés. Quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour solutionner un tel problème ?
Virginie Borel Ils sont de divers ordres : sans grande difficulté, on peut réaliser un lexique de base dans les langues cibles, organiser des tandems linguistiques internes pour améliorer les compétences en matière de communication orale. Lors de l’engagement de personnel, les ressources humaines peuvent prêter une attention particulière aux compétences linguistique, établir une charte du personnel sur ces mêmes compétences, ou – lorsque la taille de l’entreprise le permet – mettre sur pied des équipes de projets bi-plurilingues ou encore proposer des cours de langues ciblés.
Le Monde Economique Le bilinguisme (français/allemand) en Suisse a-t-il un avenir ?
Virginie Borel En Suisse, on se doit presque de parler de « trilinguisme » français-allemand-dialecte alémanique ! Oui, ce rapport linguistique a assurément un avenir, mais les conditions de base devraient également être réunies pour que la Suisse continue de faire de son plurilinguisme un atout plutôt qu’un obstacle : les échanges linguistiques devraient être favorisés tout au long de la formation scolaire, mais également par la suite, dans un cadre professionnel.
Fédéralisme oblige, les cantons suisses devraient également jouer la carte des langues nationales : le niveau élevé de notre formation – y compris au niveau linguistique – n’est-il pas en fait notre principale matière première ?
D’intéressantes discussions ont d’ailleurs cours dans les médias nationaux et sur les réseaux sociaux à ce sujet, notamment au sein du groupe Suisse romande sur Linkedin. Toutes partagent l’idée que les compétences linguistiques de la Suisse représentent un atout !
A l’échelon suisse, les langues nationales constituent un indéniable atout, une ouverture sur l’Europe. Il est temps de favoriser les échanges entre les régions de Suisse afin que chacun-e puisse partager cette conviction ! En effet, ceux qui ont, dans leur parcours scolaire ou professionnel, goûté concrètement à une autre culture suisse savent que c’est une richesse… L’apprentissage de l’anglais – ou de toute autre langue – s’en trouve dès lors facilité.
Dans le cadre d’Harmos, les cantons romands se sont d’ailleurs accordés sur ce fait et ont privilégié l’apprentissage de l’allemand comme langue étrangère I. Les cantons alémaniques n’e sont pas parvenus à ce consensus : pour l’heure, seuls les cantons disposant d’une frontière avec la Romandie ont opté pour le français avant l’anglai
s (Berne, Soleure, Fribourg, Valais, Bâle-Ville, Bâle-Campagne).
Interview réalisée par Thierry Dime