Photos © Aurélien Bergot
Zahi Haddad Auteur du livre : « 126 battements de cœur pour la Genève internationale
Son dernier livre « 126 battements de cœur pour la Genève internationale », illustre parfaitement le parcours de cet écrivain, diplômé en relations internationales et qui fait de Genève son nouveau terrain de jeu. Auteur et bloggeur, Zahi Haddad, est pétri d’une grande culture internationale mais comme plus de 95% de ses confrères, il ne vit pas de sa plume. C’est avant tout un entrepreneur, qui met son expertise au service des entreprises car il conçoit, rédige et gère pour elles, tout type de projets de communication. Il allie ainsi, sa passion pour l’écriture et sa curiosité pour l’entreprenariat. Et c’est naturellement qu’il a été récemment sélectionné dans le forum des 100 qui met en avant les 100 personnalités qui font la Suisse romande. Entretien.
Monde Economique: Entre les courriels qu’on reçoit quotidiennement, les appels téléphoniques des clients, les sollicitations des collaborateurs ou encore les réseaux sociaux, on constate que les sources de sollicitations se sont multipliées ces dernières années. Tout va-t-il trop vite aujourd’hui ?
Zahi Haddad: À mon sens, oui, tout va trop vite aujourd’hui et cela mène de plus en plus de personnes à l’épuisement physique ou émotionnel. Un moment de vie que j’ai moi-même traversé, avant de prendre du recul et de choisir le ralentissement. De façonner mon mode de vie à l’image de celui que je voulais devenir, que je voulais redécouvrir. Aujourd’hui, je suis auteur, créateur de livres conceptuels. J’ai le temps d’écouter mes contemporains, mon entourage, ma famille. Je prends également quelques mandats de communication et de relations publiques qui sont les fondements de ma formation, d’autant que j’ai cofondé une agence de communication immersive, One Million Claps. Très régulièrement, je partage aussi mon expérience avec des amis – ou lors de conférences publiques – et les encourage à faire le pas, à ne pas avoir peur du changement, à écouter leur essence.
Monde Economique: Avec la COVID-19, le monde s’est barricadé pour lutter contre la pandémie : fermeture de frontières, confinement de populations, déclarations d’état d’urgence, suspensions des liaisons aériennes et maritimes… Cette pandémie nous-a-t-elle permis de nous interroger sur la notion de temps suspendu ?
Zahi Haddad: Certainement. La pandémie a eu des conséquences absolument dramatiques. Nous avons perdu des êtres chers ; beaucoup d’entre nous ont perdu leur travail, leurs moyens de subsistance.Elle a aussi libéré de nombreux questionnements avec, en filigrane, l’envie de changer les choses, qui est latente depuis de nombreuses années. L’inadmissible précarité, dans laquelle se trouvent de plus en plus de personnes, a d’ailleurs été révélée, questionnant, par là même, la solidarité et la solidité de notre société.
C’est pendant cette période que j’ai terminé la rédaction de mon livre « 126 battements de cœur pour la Genève internationale », qui fait la part belle à la société civile et aux nationalités qui façonnent Genève. À 126 personnalités exemplaires, qui font rayonner Genève à l’international. Les dernières interviews, qui ont été menées par vidéoconférence, m’ont réconforté dans cette période de grande instabilité émotionnelle, car j’ai pu me connecter à d’autres alter ego. De façon plus générale, j’ai été très inspiré et ai pu toucher du doigt la vivacité qui fait vivre notre canton, les inspirations venues de cultures et de visions du monde différentes et si complémentaires. Et aussi l’universalisme qui nous mène depuis la nuit des temps.
Monde Economique: Pouvons-nous envisager que l’épidémie de Covid-19 à laquelle nous faisons face ne soit qu’une parenthèse sans conséquence et que nous reprendrons, sitôt le danger éloigné, la vie que nous menions avant ?
Zahi Haddad: C’est ce qu’il semble déjà se passer. Avec le déconfinement du printemps 2021, nous avons repris nos habitudes. La course en avant. Les affaires courantes, en quelque sorte. Nous sommes pris par l’excitation de l’Eurofoot, des Jeux olympiques, des vacances estivales à l’étranger, de l’indispensable reprise économique… En parallèle, la protection du climat et des plus démunis semble s’être inscrite plus durablement dans nos modes de pensée. Mais, là aussi, il va falloir se battre, être imaginatif. Je pense aussi, forcément, aux artistes indépendants qui peinent toujours à travailler et dont la création est souvent de plus en plus bridée par des critères qui ne leur parlent pas. C’est probablement le moment de s’engager fortement en faveur de la culture et de la libérer.
Monde Economique: Faudra-t-il aller jusqu’à l’épuisement généralisé des hommes et des ressources pour refonder les bases de notre société ?
Zahi Haddad: C’est ce que nous montrent de plus en plus les faits. Nous sommes au pied du mur. Notre environnement est lessivé ; la planète peine à se régénérer. Et nous avec ! Quant au monde professionnel, il renferme de plus en plus d’anxiété, de situations de harcèlement de la part de patrons pressurisés ou incompétents.
Je suis convaincu que nous devrions plus nous écouter. Faire confiance à la société civile, à sa capacité à créer, à innover. Parmi les 126 rencontres que j’ai faites, il y a des personnalités comme Barbara Bulc, Basseer Jeeawody, Delia Mamon, Isabelle Bourgeois, Rainer Gude, qui s’intéressent au type de relations que nous établissons au quotidien, à notre bien-être émotionnel, aux valeurs que nous voulons transmettre, à la joie de vivre ou encore à l’introspection. Autant de thématiques peu discutées dans nos sociétés somme toute assez mécaniques. L’altérité et l’altruisme mis en avant par tant d’autres, et dans des domaines aussi divers que l’économie, l’environnement, la coopération au développement ou la culture, me donne l’espérance de changements positifs à venir.
Monde Economique: Les mots « rentabilité » et « productivité » font partie du paysage économique. Quant au culte de la vitesse, il incarne plus que jamais la réussite des temps modernes. Comment échapper à la frénésie de notre société ?
Zahi Haddad: Je pense que nous devons absolument ralentir. Apprendre à nous connecter à soi-même et à la nature. Nous regarder, nous parler. Construire ensemble, en proximité. Chercher de la joie et de la qualité. La « rentabilité » et la « productivité » à tout crin montrent leur limite. Je ne peux pas croire que le but de notre existence soit limité à user notre planète… et nous avec. Notre essence est ailleurs.
En 2011, j’ai pris un congé sabbatique pour me retrouver et écrire un roman, « Au bonheur de Yaya ». Sans le savoir, j’ai planté des graines qui fleurissent aujourd’hui. Une bénédiction ! Et j’ai été particulièrement touché lorsque des lecteurs au Mexique, en France ou au Liban me disaient vouloir suivre la même voie. C’est ainsi que j’ai quitté, en 2019, mon dernier poste pour reprendre la plume et réaliser « 126 battements de cœur pour la Genève internationale ».
Monde Economique: On sait tous qu’il n’y a pas de changement de société sans profond changement humain. Or, ceux qui nous gouvernent, les politiques, les acteurs économiques et autres puissants ne regardent que leurs intérêts. D’où viendra notre salut ?
Zahi Haddad: De nous-même. Du sens que nous voulons donner à nos vies et à nos sociétés. C’est fondamental. Quant au changement, il me paraît absolument nécessaire de le penser de façon transversale, en unissant toutes les politiques au lieu de les segmenter. La préservation de la nature, dont nous faisons partie, est un exemple criant. Limiter les voitures est une option, mais cette mesure doit s’accompagner de transports publics cohérents et omniprésents, moins onéreux – je pense notamment au train. Elle doit nous permettre de prendre le temps nécessaire à de tels déplacements, sans être stressé par la montre, ne serait-ce que pour déposer sereinement ses enfants à la crèche ou à l’école, accompagner chez le médecin un parent dont la mobilité est réduite ou encore passer du temps de qualité avec sa famille. En gros, briser la routine « dodo, métro, boulot », qui montre ses limites.
Pour ma part, je m’engage aujourd’hui plus particulièrement sur les questions de « vivre ensemble », sur ce que la diversité nous apporte. Réunir 126 nationalités différentes dans mon livre m’a permis de dépasser la simple statistique et de mettre en lumière ces bénéfices et cet indéfectible engagement pour Genève. J’ai la chance de pouvoir m’exprimer sur ces thèmes dans mes écrits, dans diverses conférences auxquelles je suis invité ainsi que dans l’émission, inspirée de mon livre, que j’anime avec Lena Ailloud sur Radio Cité.
Je suis persuadé que tout notre système doit être repensé. Notre façon d’appréhender le monde. Nous ne pouvons plus nous comporter comme avant « parce que nous avons toujours fait comme cela ». J’aspire, par exemple, à une éducation beaucoup plus horizontale, qui parlerait – et pratiquerait – de philosophie, d’émotions, de spiritualité, de vivre ensemble, de respect. Qui permettrait aux élèves de créer, de libérer leur imagination.
Hôte européen de l’organisation des Nations unies et de tout l’extraordinaire système qui gravite autour, Genève pourrait être un fantastique réceptacle de bonnes pratiques. Je crois que nous portons cette volonté de changement en nous et qu’il nous faut libérer toute l’énergie qui l’accompagne. Simplifier les choses, être ouvert. Toujours se réinventer, c’est l’essence même de l’humanité.
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