Photo © Laurent Chiu
Sandrine DAMOUR URBAN PERSPECTIVE – Architecte-urbaniste, chercheuse
En Suisse Romande, la problématique des oppositions citoyennes aux projets urbains fait régulièrement l’actualité et inquiète les milieux immobiliers.
Cour aux marchandises, En Chise à Crissier, En Praz-Grisoud à Blonay…tous bloqués dans les urnes. Les oppositions citoyennes aux projets urbains sont devenues la bête noire des investisseurs immobiliers : augmentation des coûts de processus, délais et rendement mis à mal, jusqu’à la perte des investissements initiés.
Dans le même temps à Genève, le peuple genevois réclame un urbanisme plus démocratique via une initiative de loi populaire, ainsi qu’un changement de méthode concernant la conduite des projets.
La démocratie, est-elle un frein ou une opportunité pour le développement immobilier ?
URBAN PERSPECTIVE répond de manière pragmatique à ce défi de la démocratie dans l’élaboration des projets par une solution inédite, fédératrice pour toutes les parties prenantes. Entre équité et évolution de la démocratie, entretien avec Sandrine DAMOUR, architecte-urbaniste, fondatrice de la spin off URBAN PERPECTIVE.
Le Monde Économique : Bonjour et merci de nous accorder cette interview. Pouvez-vous nous présenter votre spin off, Urban Perspective, et ce que vous faites ?
Sandrine DAMOUR : Avec plaisir ! Urban Perspective est un bureau en stratégie urbaine durable. Nous proposons des solutions opérationnelles pour régler des défis spécifiques du domaine de l’urbanisme. Ce spin off est né d’une étude en urbanisme que j’ai réalisée il y a plusieurs années et publiée par le secteur scientifique, sur les leviers permettant d’accélérer l’adaptation de la ville au réchauffement climatique. Après 10 ans d’activité en architecture, j’ai décidé de lancer Urban Perspective pour contribuer activement à la Transition écologique.
Quand on analyse les leviers pour la transition vers la ville durable, on identifie également les freins. Or, la population elle-même peut être un frein à l’adaptation des villes. C’est une réalité, tout particulièrement en Suisse. Malgré les concertations, les habitants s’opposent régulièrement aux projets urbains, durables ou non, c’est même l’un des risques majeurs pour les investisseurs.
Les raisons ? Parfois pour défendre plus de durabilité, parfois les inquiétudes sont liées à l’augmentation du trafic, parfois parce qu’on ne veut pas d’ombre sur son jardin…et souvent, parce que les gens ne se sentent pas écoutés. Il existe également, de la part des habitants, un manque de compréhension vis-à-vis des enjeux collectifs d’un projet urbain et des contraintes liées à sa conception.
Trouver une manière efficiente de traiter les diverses attentes citoyennes est un vrai défi, mais c’est un levier pour résoudre plusieurs problèmes territoriaux, comme la pénurie de logement. URBAN PERSPECTIVE s’est penché sur une solution à ce problème.
Le Monde Économique : Vous avez trouvé une nouvelle solution pour faire face aux problèmes des oppositions citoyennes aux projets urbains ? Pouvez-vous nous présenter GETHERplan ?
Sandrine DAMOUR : Nous avons en effet mis au point une méthode de projet protégée et un outil numérique en dépôt de brevet, intitulés GETHERplan. Nous avons choisi « GETHERplan » pour traduire l’idée de « faire des plans ensemble ». Ce terme exprime la nature consensuelle de toute élaboration de projets urbains : un consensus est trouvé entre les professionnels, sans quoi, aucun projet ne peut voir le jour. Il s’agit d’y intégrer les parties prenantes non-professionnels (les habitants).
GETHERplan est un processus de projet permettant aux professionnels de la ville, de co-planifier les projets urbains, de manière équitable et démocratique, avec les habitants.
Le cadre et les outils que nous utilisons simplifie la concertation : des groupes de citoyens peuvent se mettre d’accord et soumettre des propositions de quartier spatialisées facilement. Une analyse, réalisée par mes bureaux, va ensuite regrouper les idées prioritaires des citoyens. Ces idées ou éléments majoritaires seront ensuite intégrés à la planification du projet, par le concepteur.
Le processus GETHERplan permet de légitimer les projets urbains auprès des habitants : la co-planification est mesurable, transparente et validée par un processus graduel démocratique.
URBAN PERSPECTIVE est un intermédiaire impartial entre les citoyens et les professionnels. Sa principale responsabilité est d’accompagner les professionnels à co-planifier avec citoyens et valider leur projet auprès des habitants.
Nous travaillons en équipe, avec un partenaire de la place, spécialisé dans la communication des projets urbains.
Le Monde Économique : Votre processus permet aux professionnels de planifier sur la base des propositions citoyennes majoritaires, vous vous inscrivez donc très en amont des projets ?
Sandrine DAMOUR : En effet, nos clients doivent impérativement nous solliciter en amont des projets, c’est un point clé. Il ne s’agit pas de « vendre » aux habitants, un projet réalisé par les professionnels. Il s’agit de co-planifier avec eux. Non seulement, les habitants s’approprient le projet, mais ils participent concrètement à l’élaboration. Nous devons donc, avant la planification, déterminer les points sur lesquels la majorité des citoyens s’accordent, c’est l’un des piliers d’un processus de projet efficace.
Nos clients nous sollicitent souvent trop tard, pour lever des oppositions. Nous ne réglons pas les oppositions, nous les évitons !
Le Monde Économique : « Vous ne réglez pas les oppositions, vous les évitez ». C’est à priori très différent ! Finalement, quel est problème de fond que vous résolvez avec GETHERplan ?
Nous agissons sur la cause, pas sur l’effet. La cause des oppositions, c’est le processus de projet lui-même, tel qu’il est pratiqué à ce jour. L’effet de ce processus, ce sont les oppositions citoyennes.
Je m’explique : dans la procédure actuelle, les intérêts minoritaires ont le pouvoir de bloquer ou de faire modifier un projet. Par exemple, un voisin mécontent ou une association défendant un sujet spécifique peut paralyser un projet pendant des années, et ce, au détriment d’une éventuelle majorité favorable. C’est cette situation qui doit être remise en question.
Un exemple simple : la Place du Marché à Vevey, un projet d’aménagement d’espaces de détente à destination du public, à proximité du lac. Initialement prévu en 2021, le projet a été plusieurs fois repoussée en raison d’oppositions. Le projet a ensuite été bloqué par deux recours, dont une association de défense de la nature. Celle-ci a découvert qu’historiquement, il y avait un alignement d’arbres sur la place, aujourd’hui disparu. Cette demande ne correspond pas aux contraintes du projet. Cette association défend un intérêt minoritaire, elle à cependant bloqué le projet par le biais d’un recours. Le projet de réaménagement correspond sans doute aux souhaits d’une majorité de veveysans. Cependant, Vevey n’a aucun moyen de le savoir avec le processus de projet mis en place et donc, aucun moyen de sauver son projet des recours et des risques associés.
Le Tribunal cantonal a finalement rejeté les deux recours de ce projet, en ce mois d’aout. Le projet devrait, sauf autre recours, être adopté en octobre. Quarte années de retard liées aux oppositions et recours.
Avec le processus GETHERplan, d’une part, cette association aurait participé à la concertation selon la méthode GETHERplan. En tant que participante, dès les prémices du projet, elle aurait pris connaissance des contraintes relatives à la Place du Marché et participé à son élaboration. D’autre part, les souhaits de la majorité des participants auraient été analysés et intégrés au projet. Enfin, l’une des variantes de projet aurait été sélectionnée à la majorité, via une concertation communale, et ce, avant l’enquête publique. A l’enquête publique, nous serions en face d’un projet co-planifié avec les citoyens, basé sur les souhaits de la majorité des participants et validé par une majorité de Veveysans. Dans cette situation, comment un intérêt minoritaire pourrait-il légitimement s’opposer à ce projet ? Quarte années de retard liées aux oppositions et recours évités : un projet réalisé en 2021.
Le Monde Économique : Vous rendez possible à des citoyennes de faire des propositions spatialisées en groupe, mais ce n’est pas le projet final, n’y a-t-il pas des frustrations ?
Sandrine DAMOUR : Absolument pas ! Nous accompagnons l’ensemble du processus de projet GETHERplan, y compris la concertation avec les citoyens. Nous expliquons aux participants leur rôle et l’importance de leur participation dans cette démarche démocratique.
Les gens ne sont pas idiots ! Ils savent que tout processus démocratique intègre diverses visions, parties prenantes et niveaux de compétences, les projets urbains ne font pas exception. Ils comprennent donc parfaitement qu’une seule proposition faite par un groupe ne peut raisonnablement pas devenir le projet final. Le seul consensus acceptable pour l’élaboration d’un projet réside dans les éléments sur lesquels la majorité s’accorde. Nous leur rappelons simplement les principes fondateurs de notre système et comment la démarche à laquelle ils participent leur permet d’être écoutés de manière équitable, en tant que citoyens.
Le Monde Économique : En faisant participer les citoyens de manière précise et mesurable, n’y a-t-il pas un risque que les professionnels perdent le contrôle du projet ? N’est-ce pas une crainte de la part de vos clients ?
Sandrine DAMOUR : Un projet urbain est un travail pluridisciplinaire et un investissement considérable, quand URBAN PERSPECTIVE propose un processus qui permet aux citoyens de participer concrètement à la planification, les professionnels craignent instinctivement de perdre le contrôle du projet. Nous levons chacune de leurs appréhensions en leur expliquant comment le processus GETHERplan leur permet de conserver, à chaque étape, la maitrise du projet, y compris dans la marge de manœuvre accordée aux citoyens dans le cadre de leur participation.
La préparation à la concertation, la première phase du processus GETHERplan, est réalisée avec les professionnels. Cette phase leur permet de contribuer et de valider avec URBAN PERSPECTIVE, chaque point qui sera soumis dans le cadre de la concertation citoyenne.
Le Monde Économique : Pourquoi les oppositions citoyennes sont-elles un problème majeur pour les investisseurs publics ou privés ? et en quoi votre solution est une opportunité ?
Sandrine DAMOUR : Pour les investisseurs, les oppositions citoyennes entrainent des risques financiers considérables. Entre les couts variables et les risques de perte sur le rendement, les risques financiers liés aux oppositions se montent à plusieurs millions. Dans le pire des cas, les blocages citoyens peuvent empêcher la construction du projet, soit la perte des investissements initiés. Les quartiers En Chise à Crissier, En Praz-Grisoud à Blonay ne sont que quelques exemples de projets balayés par les habitants.
A Genève, on compte 75% d’oppositions sur les surfaces constructibles et 30% de projets qui partent en recours. Les projets urbains font régulièrement face à plus de 400 oppositions. Ce problème récurrent et couteux pour les investisseurs, qui se pérennise depuis de nombreuses années, et ce, malgré les efforts des investisseurs, volontaires ou imposés, concernant la durabilité des projets.
Cette situation a aussi des conséquences à l’échelle du territoire. A Genève, la pénurie de logement fait rage : 0,46% de logements vacants en 2023, un chiffre bien au-dessous des 2% nécessaire à un marché équilibré. Les effets ? Des loyers élevés et la difficulté pour les résidents de trouver un logement adéquat. Les projets de densification urbaine sont une des mesures pour remédier à la situation, les oppositions citoyennes, un frein majeur à leur développement.
En conclusion et réponse à votre première question : oui, les oppositions est un problème majeur pour les acteurs de l’immobilier, avec des conséquences néfastes pour la population. Cependant, ces oppositions ne sont que la conséquence d’une cause plus profonde, à savoir des processus de projet inadaptés, qui génèrent d’importants risques financiers.
Je peux maintenant répondre à votre seconde question : si vous souhaitez modifier efficacement l’effet, il est nécessaire de concentrer votre attention sur la cause. GETHERplan est un processus de projet fédérateur, équitable et démocratique, conçu pour transformer un ensemble d’effets pervers (notamment les oppositions) en effets désirables, tant pour les acteurs de l’immobilier que pour la population.
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