Après la seconde guerre mondiale est apparue la standardisation. Les traces de la guerre devaient être effacées au plus vite. Des magasins identiques, achalandés de produits tous similaires en quantités importantes fleurirent en Europe alors que les procédés de constructions standardisés permirent de reloger les populations et de recréer des infrastructures dans un laps de temps restreint. Plus tard, la mondialisation a accéléré les processus de standardisation des valeurs et des savoirs-faire, rendant le sur-mesure obsolète et hors d’atteinte des classes moyennes.
Après plusieurs décennies de pratique de ce modèle économique, les ténors des marchés ont pris conscience de ses limites et sont revenus aux valeurs originales incarnées par l’artisanat et le singulier. Ce constat peut être fait dans de nombreux domaines, de l’agriculture à l’horlogerie en passant par l’architecture.
On l’aura compris, aujourd’hui pour exister il faut être unique, il faut briller par sa différence et non plus se fondre dans la masse. Les musées se sont offerts depuis longtemps la signature d’architectes de renom pour valoriser leurs lieux d’exposition et en accroitre la visibilité.
Véritables précurseurs, les Guggenheim ont dès 1959 utilisé le savoir-faire et la renommée de Frank Lloyd Wright lors de la construction de leur musée de New-York. En 1997, la construction du Guggenheim de Bilbao (Espagne) est le meilleur exemple d’une donne gagnante. Avec le projet de Frank Gehry, une collection d’art contemporain est implantée au cœur d’une région industrielle sur le déclin. Coup de projecteur médiatique, partenariat avec les autorités et au final une incroyable attractivité tant pour le musée lui-même que pour la collection qu’il abrite. Fort de cette réussite, le Louvre ouvrira ses portes à Doha (Jean Nouvel) alors que Frank Gehry signe un nouveau pôle pour la fondation Guggenheim toujours au Qatar. Les ressources du Golf permettent ainsi au travers du contenu et du contenant de ces institutions occidentales d’importer l’idée d’une certaine culture tout en générant de l’attractivité.
En quête de visibilité, les banques et les groupes d’assurances ont eux aussi décidé de se lancer dans la course. De Hong-Kong à la City de Londres, des constructions emblématiques se toisent les unes les autres. L’ex-siège de Swiss Re à Londres (Sir Norman Foster – 2004) a détrôné le bâtiment de la Lloyds (Richard Rogers -1978) en tant que symbole de la City, alors que le « Shard » (Renzo Piano) tend à devenir une icône sur l’autre rive de la Tamise.
Le secteur du luxe, en perpétuelle quête d’identité s’est également lancé depuis longtemps dans cet exercice promotionnel. Ainsi Chanel a développé un partenariat avec l’architecte Zaha Hadid en lui confiant tout d’abord, en 2008 la réalisation d’un pavillon d’exposition itinérant, puis en l’associant directement avec Karl Lagerfeld pour créer les décors aquatiques du défilé Printemps-Eté 2012. Bruno Pavlovsky (président des activités mode chez Chanel) a définit ce travail comme « Un nouveau type de communication, qui, dénué de toute contrainte commerciale, valorise la marque autour de la créativité […] ». Les marques utilisent donc la visibilité engendrée par ces bâtiments hors normes à l’instar de campagnes publicitaires.
Pas encore sorti de terre et pourtant déjà médiatisé, la restructuration du site Biennois de Swatch Group a été confiée au célèbre architecte japonais Shigeru Ban.
Le site accueillera trois lieux d’exposition pour présenter les créations de Swatch et d’Omega ainsi qu’une manufacture ouverte au public. Ce type de démarche favorise les relations avec les autorités locales qui voient dans cette attractivité des retombées économiques pour toute une région.
Autre exemple de taille, à Weil-am-Rhein (Allemagne), le « campus » de la célèbre marque de mobilier contemporain Vitra est à lui seul un musée de l’architecture et se visite d’ailleurs comme tel. Le guide vous expliquera que le musée est une réalisation de Frank Gehry (1989), que le centre de conférence est le travail de Tadao Ando (1993), que la caserne des pompiers est une œuvre de l’architecte Zaha Hadid (1993) tandis que l’usine fût réalisée par Alvaro Siza (1994), alors que la sculpturale et emblématique Vitrahaus est le travail du bureau balois Herzog & de Meuron (2010) et que la dernière réalisation en date, l’atelier de production est une réalisation de Kazuyo Sejima-SANAA (2012). Tous ces architectes, lauréats du Prix Pritzker, considéré comme étant le Prix Nobel d’architecture, ont été réunis en un même lieu, au service de la communication d’un géant du Design.
Les musées, les banques, les grandes marques de couture ou d’horlogerie, démontrent chaque jour leur intérêt pour la création architecturale. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement l’apanage de marques emblématiques que de vouloir se démarquer au moyen du design et de l’architecture. Chaque individu revendique son droit à exprimer sa personnalité. L’architecture tend à s’éloigner des solutions globales standardisées. Elle renoue en quelque sorte avec ses origines vernaculaires en répondant par un savoir-faire de qualité à un problème particulier, pour un individu, dans un endroit donné, tout en répondant aux attentes de la société.
Margareth Ruchti
Architecte Associée
www.wm-architectes.ch