L’HOMME « AUGMENTE » – DANS TOUTE SA GLOIRE ET DANS TOUTE SON AMBIGUITE

4 septembre 2016

L’HOMME « AUGMENTE » – DANS TOUTE SA GLOIRE ET DANS TOUTE SON      AMBIGUITE

  • Une « augmentation » de l’homme qui désormais verrait ses capacités intellectuelles, psychologiques et physiques largement amplifiées par les moyens de la technologie, un enhancement dans toutes les connotations de ce mot anglais allant du renforcement à la mise en valeur en passant par l’optimisation– voilà le nouvel idéal proposé par un certain nombre de thinks tanks basés aux Etats- Unis ainsi que, plus généralement, par le mouvement transhumaniste actif de plus en plus dans le monde entier.

L’homme « à augmenter » est placé à la croisée de plusieurs sciences ; le projet de son optimisation se trouve au point de convergence de techniques et de savoirs dont chacun a connu, au cours des trois dernières décennies, une évolution phénoménale. C’est l’action jointe de tous les domaines de la haute technologie qui est censée désormais améliorer tant la performance professionnelle de l’homme que la disposition générale de son esprit et sa perception intellectuelle et émotionnelle du monde. Plus efficace, plus performant, plus résistant au stress, l’humain doit en même temps se rapprocher du bonheur d’une manière jusqu’alors inédite. Présentés sous une forme acceptable, soit comme autant des exhausteurs d’émotions et sensations positives, des médicaments neuropharmacologiques sont censés garantir le bonheur et un état de félicité constant.

Le projet de l’homme « augmenté » suscite un grand enthousiasme ; une véritable ébullition règne dans les laboratoires et au sein des think- tanks directement impliqués dans son élaboration. Ses concepteurs croient provoquer une révolution qui va complètement transformer l’homme et la société. Même Google s’y met, et pas n’importe comment : il est le puissant sponsor de la Singularity University, le laboratoire principal d’idées transhumanistes basé en Californie.

Mais l’enthousiasme qui entoure le projet de l’homme technologiquement « augmenté » est loin d’être universel ; il soulève aussi beaucoup de scepticisme et crée la polémique. Les critiques viennent de camps différents : des « bio-conservateurs », des environnementalistes, des milieux religieux ou tout simplement des humanistes de type traditionnel s’opposent à ce futur homme aux capacités artificiellement amplifiées et aux agissements, comme ils le redoutent – imprévisibles et incontrôlables. Il y a aussi ceux qui craignent l’effondrement du capitalisme à visage plus ou moins humain qui est encore – on oserait le prétendre – celui d’aujourd’hui et l’orientation, dès lors, vers un régime de productivisme forcené dont les exigences et le rythme vont pouvoir être assumés uniquement par les employés les plus compétitifs, les mieux équipés. C’est pourquoi on soupçonne le projet de l’« homme augmenté » d’être au service de l’« idéologie productiviste » (H. Chneiweiss), d’être chargé d’équiper l’homme de demain (d’un « demain » imminent, en effet), à l’aide de moyens technologiques et pharmacologiques bien ciblés, pour en faire quelqu’un de hautement efficace, compétitif, concurrentiel, capable de travailler sous le régime d’une croissance de plus en plus grande.

Les concepteurs et les tenants de cet « homme augmenté » essaient de relativiser cette vision des choses ainsi que l’étonnante sophistication des moyens qu’ils sont prêts à mobiliser pour optimiser la nature humaine. On cherche aussi à minimiser l’impression troublante que laisse le projet d’une utilisation libre et fréquente d’exhausteurs médicamenteux dans le quotidien. On tente de rassurer en invoquant l’exemple classique de la prise quasi- générale de certains stimulants et de boosters de type « soft », tels que le café, et en soulignant que la recherche d’un surplus d’efficacité par voie extérieure ne date pas d’aujourd’hui. Ce qu’on appelle actuellement un « homme augmenté » est présenté, dès lors, comme l’aboutissement naturel de cette recherche de tout temps, de la part de l’être humain, d’un accroissement, d’une intensification, d’une optimisation de ses capacités.

Oui, mais il n’en demeure pas moins que tout cela laisse planer une inquiétante impression d’ambiguïté, y compris au niveau terminologique : en effet, on nous parle d’une « augmentation » de l’humain alors que les mouvements scientifiques- intellectuels qui soutiennent le projet se veulent, quant à eux, respectivement transhumaniste et posthumaniste. Une question légitime se pose : vers où va-t-on exactement – vers une « augmentation » de l’homme ou, plutôt carrément, vers la transgression de l’humain et sa substitution par quelque chose de nouveau ? Transhumain et posthumain ne désignent-ils pas l’état d’une future déshumanisation et une robotisation à outrance ? Et ne s’oriente-t-on pas, d’autre part, vers une société où les gagnants (si gagnants il y a) seront ceux dont le seul mérite est de ne pas oublier de prendre leurs médicaments à temps, sûrs ainsi de voir leurs capacités intellectuelles, cognitives et physiques rehaussées… pour les cinq prochaines heures.

 

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