Alors que de grandes puissances quittent avec fracas le « bateau européen » et d’autres méditent secrètement la même démarche, alors que dans ce que quelques décennies auparavant on appelait encore une « maison européenne commune » est apparue la discrète mais bien visible plaque « Exit » (avec flèche indiquant la sortie de secours), dans une telle époque, le croit-on ou non, il existe encore des pays europhiles et même des pays « euro- optimistes ». Et – paradoxe des paradoxes ! – il s’agit là des pays les plus pauvres de toute l’UE, des cancres de l’Europe des vingt- huit – la Bulgarie et la Roumanie !
Les deux pays rejoignirent l’UE il y a dix ans, accueillis à bras ouverts par Bruxelles qui fit de cette double adhésion balkanique le symbole même de son élargissement à l’Est. L’enthousiasme était mutuel, partagé : la Bulgarie et la Roumanie littéralement déliraient de joie en cet historique 1 janvier 2007 quand leurs drapeaux nationaux se hissèrent devant le bâtiment de la Commission européenne à Bruxelles. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, comme dans un mariage plutôt réussi, au grand amour des débuts a succédé un partenariat moins émotionnel mais stable et basé sur la confiance et l’intérêt commun.
L’intérêt est, en effet, considérable, de part et d’autre… et surtout du côté des deux pays balkaniques qui, au cours de la dernière décennie, ont vu leur économie marquer une nette croissance, leur PIB augmenter et la pauvreté et l’exclusion sociale se réduire considérablement. Dix ans plus tard, Bulgares et Roumains se disent plus satisfaits de leur vie qu’ils ne l’étaient avant leur entrée dans l’Union. Certes, une certaine frustration persiste : la redistribution des bénéfices générés par la croissance est inégale et ne se traduit pas en une augmentation automatique et générale des revenus.
L’étroit attachement que témoignent, au contraire, la Bulgarie et la Roumanie, à l’Union Européenne a aussi ses raisons géo- politiques et stratégiques. Les deux pays balkaniques, et surtout la Bulgarie, représentent l’extrême frontière sud- orientale de l’Union Européenne, celle au-delà de laquelle commence la zone trouble d’un Moyen Orient qui, d’Erdogan en Turquie en Daesh en Syrie, rêve de la restauration de l’Empire Ottoman. Or, ayant vécu des siècles sous la domination ottomane et connu toute sa violence, les peuples balkaniques, à la mémoire historique très sensible, voient dans l’Europe institutionnelle de Bruxelles, un garant de sécurité et le seul rempart contre toute nouvelle ambition expansionniste venant de l’Orient. La Bulgarie et la Roumanie sont sans doute les pays qui attachent le plus d’importance à ce qui était la vocation initiale, primordiale, de l’Union Européenne – être une organisation supranationale assurant la paix et la sécurité de l’Europe.
Aujourd’hui, cette vocation semble éclipsée par les dimensions économique et plus purement politique de l’Union. L’UE n’a pas encore complètement abandonné son ambition de s’affirmer comme un concurrent politique et économique de taille des Etats- Unis et de la Chine. Mais les difficultés – on ne le sait que trop bien après le Brexit – s’accumulent ces dernières années. Les PECO et surtout les deux voisines balkaniques, la Bulgarie et la Roumanie, sont tenus comme responsables de l’affaissement des tendances positives accusées dans les décennies précédentes. Les économies chancelantes entachées de corruption de ces nouveaux membres et le fait, d’autre part, que par leur adhésion, ils n’ont fait qu’alourdir la bureaucratie déjà assez grande de Bruxelles et de Strasbourg et ont compliqué encore davantage le processus de prise de décisions importantes, sont parmi les autres accusations que l’on porte à l’encontre des pays de l’Est et en particulier à ceux de la zone des Balkans.
Toujours en est-il que la Bulgarie, le « cancre » par excellence de l’UE, s’apprête, dès l’année prochaine, à assumer la présidence tournante de l’UE, responsabilité qui certainement affermira encore davantage sa place au sein de la famille européenne. Quant à l’économie bulgare, économie chancelante qui recèle beaucoup de corruption et d’activités à l’ombre, elle a en même temps son côté ensoleillé – un secteur touristique basé sur des ressources culturelles et naturelles très attractives pour les étrangers.
Avec l’été qui approche à grands pas, le littoral que la Bulgarie et la Roumanie se partagent à l’est et qui représente l’aboutissement oriental de l’Europe géographique, sera de nouveau visité par des milliers de touristes qui se persuaderont que la Mer Noire n’est en effet pas si noire que son nom le prétend et que la Bulgarie et la Roumanie ne sont pas des pays aussi arriérés que, pour facilité ou par ignorance, on veut bien parfois le croire.