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La forte hausse des taux américains, passés de 0,50% de rendement début août 2020 à plus de 1,70% le 18 mars dernier, bouleverse la planète financière et, à moyen terme, bouleversera la planète économique. Semant la désolation parmi les titres qui avaient le plus profité de 2020, renversant la hiérarchie des styles de gestion – les valeurs méprisées devenant les plus recherchées – , créant des pertes sur les obligations dites « sans risque », ses conséquences seront profondes et encore loin d’être toutes visibles. Sans compter qu’on ne sait jusqu’où elle peut aller.
Le marché se demandait si le Président de la Fed indiquerait à l’issue de la dernière réunion du comité de politique monétaire, ne serait-ce qu’à mots couverts, une ligne rouge au-delà de laquelle la hausse devrait être contrée par la Fed. Il n’en fut rien. Insistant sur le long chemin qui sépare encore l’économie américaine de l’objectif d’emploi maximum – un des deux objectifs statutaires assignés à la Fed – Jerome Powell n’a donné aucun signe pointant vers un resserrement des taux, qui aurait pu apaiser les craintes d’une surchauffe inflationniste. Au contraire. Dans son discours, l’objectif du plein emploi prime aujourd’hui sur la maîtrise de l’inflation, sauf si elle venait à déraper au-dessus des 2% de façon durable. La question de l’emploi est tellement centrale que J. Powell a pris le temps de détailler le niveau de chômage affectant les catégories sociales utilisées aux Etats-Unis, telles que l’emploi des « Noirs » ou des « Hispaniques ». Un discours nouveau pour la Fed, difficilement imaginable il y a quelques années, et totalement inconcevable dans la bouche de Christine Lagarde, Présidente de la Banque centrale européenne, par exemple, dont le mandat est muet sur la question de l’emploi. Notons qu’à l’inverse, le discours sur le réchauffement climatique, désormais régulier au sein de la BCE, est à peine mentionné par J. Powell. La divergence des priorités actuelles entre les Banques centrales est patente, avant qu’un jour peut-être la Fed n’intègre le facteur climatique comme un paramètre touchant indirectement à l’emploi et à l’inflation – ce qu’il est en réalité.
N’indiquant aucune volonté de les contenir à moyen terme, Jerome Powell a déconfiné les taux longs américains. Le marché a compris le signal, portant les rendements jusqu’à 1,75% au lendemain de l’intervention, alors qu’ils se situaient autour de 1,65% la veille. Par contagion, les rendements européens se sont également tendus, alors que la situation européenne n’a rien en commun. Le soir même du 18 mars, d’ailleurs, la France, après l’Italie, la Pologne et Oslo, annonçait un troisième confinement qui pèsera sur le timide rebond européen.
A laisser leur liberté aux taux, le risque est de devoir les reconfiner plus brutalement un jour, si l’épidémie de hausse des rendements s’accentue. Cela obligerait à monter les taux courts ou à réduire le bilan avec diligence. Le cas extrême fut illustré par Paul Volcker[1] qui monta les taux courts jusqu’à 20% au début des années 1980, provoquant une récession assumée ! Aucun risque que cela arrive dans les prochaines années, bien sûr. Mais cet épisode hante la mémoire du marché. Tant qu’il planera, et que perdura le souvenir de l’explosion des bulles qui ont suivi deux des trois dernières hausses des taux courts (à la fin des années 1990 et en 2004-2006), l’anxiété du marché à propos des taux ne retombera pas.
Bonne nouvelle au milieu de ces préoccupations : les actions, du moins celles dont les prix ne sont pas stratosphériques, ne sont pas directement touchées. Si la croissance perdure, elles pourraient passer sans trop d’encombres ces remous obligataires : les actifs risqués apparaissent de ce point de vue comme des valeurs refuge !
[1] Economiste américain, Patron de la Fed de 1979 à 1987
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