Par Olivier de Berranger, CIO, La Financière de l’Echiquier
Au cours des dernières semaines, l’administration américaine dans son ensemble – le président Biden, la secrétaire d’Etat J. Yellen et le président de la Fed – s’est montrée de plus en plus disposée à assumer le risque d’une récession volontairement induite par les hausses des taux directeurs. Alors que les économies de marché tentent en général – à l’exception notamment des périodes de guerre – de favoriser la croissance du PIB à court terme, quitte éventuellement à sacrifier d’autres richesses comme le patrimoine écologique, nous vivons un épisode rare où cette priorité passe volontairement au second plan, au profit d’un objectif de long terme : la stabilité des prix. Ainsi Jerome Powell vient-il de reconnaître explicitement, lors de son audition le 22 juin devant les sénateurs américains, que la récession est « certainement une possibilité », mais que cela ne le fera pas dévier de son combat contre l’inflation. La sénatrice Elisabeth Warren, qui avait qualifié Jerome Powell « d’homme dangereux » lors d’une précédente audition, l’a mis devant ses responsabilités en invoquant les « millions d’emplois » qui pourraient être perdus en cas de récession. Mais le président Powell n’a pas bronché, tout en reconnaissant que la Fed n’avait aucun pouvoir pour modérer les prix affectant les biens qui figurent parmi les plus essentiels aux ménages, à savoir l’énergie et les denrées alimentaires. La Fed assume ainsi le risque de la récession, tout en se défendant de la souhaiter, et en reconnaissant ne pouvoir guère influer sur la partie la plus visible de l’inflation. Le risque est double : non seulement celui d’une récession par la restriction des conditions financières mais, dans le pire des cas, celui d’une récession sans effet direct sur les prix des biens de première nécessité.
Le marché ne s’y est pas trompé : après avoir atteint un sommet à près de 3,50% de rendement sur les obligations à 10 ans américaines juste avant l’audition de J. Powell, ce taux est rapidement redescendu aux alentours de 3% en fin de semaine, reflétant des craintes de ralentissement de l’économie. Les marchés de taux anticipent même un inversement de la politique monétaire par des baisses de taux directeurs dès le premier semestre 2023.
Combattre l’inflation aux dépens de la croissance de court terme est-il une stratégie efficace ? D’après la Fed, la réponse ne souffre pas d’équivoque : la stabilité des prix est « le socle de l’économie » et donc le socle d’un marché de l’emploi en condition optimale. En outre, ajoute M. Powell – qui assortit généralement ses justifications de considérations sociales – l’inflation frappe plus durement les ménages les moins aisés. Il y a donc urgence à la combattre, quelle qu’en soit la raison. Paradoxalement, y remédier au prix d’une récession serait le seul moyen de réaliser à long terme le double mandat de la Fed : stabilité des prix et emploi maximum, même si cela s’oppose à court terme. Si cette hypothèse se vérifie, M. Powell sera loué comme un visionnaire, de même que l’ancien président de la Fed Paul Volcker est aujourd’hui considéré par beaucoup comme le vainqueur de l’inflation et non comme le responsable d’une intense vague de chômage au début des années 1980 – ce qu’il fut pourtant aussi. Si en revanche sa manœuvre échoue, J. Powell sera considéré comme l’homme qui non seulement a souffert de myopie économique en ne prenant pas à temps la mesure de l’inflation, mais qui en outre a réagi trop violemment pour corriger sa première erreur. Le temps jugera.
Cela dit, le risque encouru par la Fed doit être remis en perspective. Il est peut-être moins aigu qu’on ne pourrait le craindre. Car si une récession apparaissait dans les mois à venir – ce qui n’est toujours pas certain – les dégâts pourraient demeurer relativement contenus. En premier lieu, les prix des actifs boursiers ont déjà nettement chuté et intègrent une récession modérée. En outre, les banques centrales disposeront à nouveau de marge de manœuvre pour redevenir plus accommodantes. De surcroît, le système bancaire ne devrait pas être touché en première ligne. Rien de comparable avec l’écroulement du système financier de 2008 par exemple. Enfin, l’épargne des ménages – du moins pour ceux qui en disposent – est assez élevée, et pourrait servir de parachute. Et les entreprises ne sont pas excessivement endettées.
Ainsi, même en cas d’erreur de politique monétaire d’une Fed aveuglée par l’inflation, la clairvoyance actuelle des marchés pourrait aider à en atténuer les conséquences. A l’inverse, si la Fed a raison aujourd’hui dans sa vision de long terme, la crainte actuelle des marchés serait excessivement court termiste. Dans tous les cas, la clairvoyance de l’un des deux contrebalancera en partie l’aveuglement de l’autre.
Rédaction achevée le 27.06.2022
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