La Journée internationale des personnes handicapées s’est tenue le 3 décembre dernier. Cette journée, par-delà la nécessité de mieux appréhender la question du handicap, vise à défendre le droit des personnes handicapées pour une meilleure association de ces dernières à la vie en société, et ceci quels qu’en soient les aspects : économiques, sociaux voire culturels.
L’occasion pour nous d’interroger la place des personnes atteintes de handicap dans le milieu du travail en Suisse, et précisément à l’intérieur des entreprises. Les chiffres des dernières études menées en Suisse sont éloquents : on estime que seul 0,8 % des employés en Suisse sont des personnes en situation de handicap, alors que ce taux est de 4% en France et de 4,3% en Allemagne.
On peut ajouter qu’en Suisse, moins d’une entreprise sur douze emploie une ou plusieurs personnes souffrant de handicap, avec toutefois de fortes variations en fonction de la taille et du secteur de l’entreprise. Ces chiffres témoignent des progrès réels qui restent à fournir dans ce domaine…
La réinsertion sur le marché du travail est l’une des mesures prévues dans le cadre de la 6ème révision de l’assurance-invalidité (AI), dont le premier volet est actuellement débattu par le Conseil national. Ce premier volet, dont l’objectif est de réduire un déficit avoisinant le milliard et demi de francs par année, prévoit de réinsérer 16’500 rentiers sur le marché du travail, en vue de supprimer 12’500 rentes d’ici 2018. Voilà pour les chiffres. Un bémol toutefois : la faiblesse de la 6ème révision de l’AI est de ne mentionner aucune solution concrète pour parvenir à atteindre un objectif ambitieux.
Aussi quelques inquiétudes apparaissent. La 6ème révision de l’AI ne garantit pas automatiquement le retour à l’emploi pour le bénéficiaire, et elle le menace d’un autre côté d’une réduction de ses rentes. L’INSOS s’est d’ores et déjà déclarée opposée à la réduction massive des rentes. Elle s’inquiète en effet que le « gouffre financier » auquel est confrontée l’AI doive être comblé « au détriment des assurés par une réduction des prestations ». Pour Pro Infirmis, plus grande organisation suisse active dans le domaine du handicap, il semble illusoire de croire que les employeurs offriront spontanément des places de travail : « La réinsertion sur le marché du travail ne peut fonctionner que si des emplois sont disponibles ». Quelle solution peut-on vraiment envisager pour faciliter l’accès des personnes en situation de handicap au marché du travail, tout en évitant qu’une véritable épée de Damoclès plane au-dessus de leur tête ? Comment les entreprises peuvent-elles améliorer concrètement l’intégration professionnelle des personnes handicapées ?
Le syndicat Travail.Suisse propose d’instaurer des quotas aux entreprises suisses, système qui existe déjà en Allemagne ou en France. Travail.Suisse souhaite contraindre les entreprises de plus de neuf postes à plein temps à consacrer 2,5% de leurs emplois à des personnes en situation de handicap. Une entreprise comptant plus de 80 employés à temps complet sera donc incitée à engager en son sein au moins deux personnes bénéficiaires de l’assurance invalidité. Que disent les entreprises ? Sur le fond, un grand nombre n’y verrait pas d’obstacle, et serait prêt à jouer le jeu, mais d’autres se déclarent nettement plus réticentes. L’Union patronale suisse s’y oppose par exemple avec fermeté. Cette proposition des quotas fait selon elle porter « le poids de l’intégration des handicapés aux seuls employeurs », et les personnes intégrées par ce biais porteraient l’étiquette « d’intégrées du quota » et seraient « mises à l’écart ».
Une autre manière d’encourager l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, est d’attribuer une plus grande visibilité aux nombreux exemples de réussite dans ce domaine. Citons la PME vaudoise Ecocube, dont un tiers des employés est en situation de handicap. Celle-ci a été primée par le Prix de l’Intégration Professionnelle INSOS-FAH au mois de septembre dernier, tout comme le CHUV et la Poste.
Une incontestable évolution dans la politique d’intégration des handicapés en Suisse est prête à être menée. Un défi ardu pour certains, beaucoup plus évident pour d’autres, mais qui a le mérite de remettre la problématique entreprise / employés au cœur de la société, et qui a le don de prôner, en définitive, une plus grande responsabilité sociale des entreprises. Selon Martin Flügel, président de Travail.Suisse, une meilleure intégration des personnes en situation de handicap constitue « l’un des défis majeurs posés à la Suisse » ces dernières années. Ce qui est certain, c’est que sans vraie garantie, les organisations défendant les droits des handicapés ne devraient pas soutenir la 6ème révision.
Faustin Rollinat/Rédacteur chez Le Monde Economique