La publicité au défi du troisième âge

30 novembre 2014

La publicité au défi du troisième âge

S’il y a une tranche d’âge qui dispose de temps pour lire en entier les messages publicitaires reçus à la boîte postale ou par email et qui ne trouve pas intempestifs les sondages téléphoniques sur le degré de satisfaction de tel ou tel produit, mais qui au contraire donne diligemment et exhaustivement son avis, c’est bien la catégorie des seniors. C’est encore nos aînés qui s’attardent devant les stands de dégustation dans les grandes surfaces pour s’informer en détail des vertus du produit promu.

Alors que nous, les personnes d’âge actif, nous n’avons pas le temps à accorder même à la pub télé, pourtant bien plus facilement digérable que les messages écrits, nombreux sont ceux du troisième âge pour qui la « réclame », comme on l’appelait encore du temps de leur propre jeunesse, réalise son but : accrocher, accoster, faire réagir.

Réagir, d’accord, mais comment ? Donner juste son avis ou vraiment acheter, ce qui est déjà le but ultime de toute « réclame » ? Les deux. Les personnes retraitées dégustent, comparent, commentent, mais aussi, très souvent, ils achètent. Les actuels seniors – surtout pour ce qui est de ceux vivant en Occident – disposent aussi d’un pouvoir d’achat que l’on pourrait définir comme nettement accru par rapport à celle des gens « vieilles » des décennies précédentes. Clients bénéficiant à la fois des deux « denrées » les plus précieuses, le temps et l’argent, les hommes et les femmes âgés d’aujourd’hui apparaissent comme les destinataires idéaux de la publicité commerciale.

Mais en réalité, il n’en est rien, ou presque. La société de consommation que les actuels retraités ont eux- mêmes construite pendant les Trente Glorieuses leur préfère maintenant d’autres catégories de la population ; elle semble, globalement parlant, ignorer leur grande disponibilité, réceptivité et même leur pouvoir d’achat. Intérêt il y a, bien évidemment, mais c’est un intérêt malaisé. On préfère s’adresser à eux à travers les autres catégories de clients, en les mêlant à la grande masse des consommateurs. Ou alors, si l’on parle aux personnes « vieilles », on le fait en utilisant l’argument de… la jeunesse. « Rester jeune le plus longtemps possible » est le slogan publicitaire que l’on sort pour l’occasion.

Pourtant, le rajeunissement est loin d’être le but suprême de tous les seniors. Dans cette grande catégorie de consommateurs, il y a les « Assumés » (comme les surnomme le site Vanksen, pour les distinguer des « Jouvences ») qui se sentent bien dans leur âge et cherchent à améliorer plutôt leur environnement que l’état de leur peau. Ils préfèrent dépenser plutôt pour des loisirs liés à la maison et à la famille, tels que la déco, le jardinage, le bricolage, l’auto/moto. Certes, il y a aussi ces « Jouvences » qui achètent tout ce qui peut maintenir « branché » et « à jour » – depuis les produits de beauté jusqu’aux articles de haute technologie et les gagdets qu’on a l’habitude de voir plutôt dans les mains de leurs petits- enfants… les petits- enfants dont certains sont aujourd’hui ceux-là mêmes qui créent la publicité commerciale.

La publicité au défi du troisième âgeCar, en effet, une grande partie des publicitaires et des marketeurs d’aujourd’hui ont à peine (ou n’ont même pas encore) 30 ans. Séparés comme par un gouffre générationnel de la catégorie de leurs grands- parents, ces jeunes responsables de la pub ont quelque difficulté à imaginer quels peuvent être les goûts authentiques et les besoins d’un âge tellement éloigné du leur. Ils ont tendance à homogénéiser la catégorie des seniors et ce sont eux qui mettent souvent tous les aînés au dénominateur commun de la course farouche au rajeunissement.

Mais il y a surtout la tendance à assimiler les seniors à la grande masse de l’ensemble des consommateurs, tous âges confondus. On envoie aux « anciens » les mêmes messages publicitaires que ceux destinés aux consommateurs d’âge actif, c’est-à-dire des textes très succincts composés le plus souvent de deux ou trois mots monosyllabiques. C’est là une véritable bavure de la stratégie marketing qui, au contraire, aurait tout à gagner à envoyer des messages plus longs et un peu plus chaleureux aux seniors, des « invitations » commerciales qui leur serait spécifiquement destinées et qui, d’autre part, témoignerait de l’intérêt et du respect à leur situation de clients aînés.

N’oublions pas que si ces derniers possèdent le temps et l’argent (c’est assez souvent le cas), ils sont affligés d’une autre déficience – l’absence d’êtres proches autour d’eux. Un message publicitaire plus long donc, quelques mots plus humains, prononcés dans un appel téléphonique publicitaire (de ces appels qui nous énervent tant nous, les « actifs » !), voilà qui pourrait rendre moins pénible la solitude et ferait du bien à un (une) senior qui peut disposer d’argent mais pas toujours avec qui communiquer. Voilà aussi ce qui peut le (la) convaincre à acheter.

Dessy Damianova – Rédactrice pour le magazine Le Monde Economique

 

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