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Par Anne Barrat
Une nouvelle génération de maisons de courtage bénéficie des facilités numériques et de l’intelligence artificielle pour professionnaliser un métier et le dépoussiérer de ses scories systématiquement défavorables aux vendeurs. Patients ou pressés, ces derniers ont désormais le choix de solutions qui les protègent en leur garantissant d’empocher le juste prix de leur bien.
La littérature immobilière est beaucoup plus bavarde sur les problématiques auxquelles sont confrontés les acheteurs que sur les difficultés que rencontrent les vendeurs. Cela est sans doute dû au fait que l’accès à la propriété, encore plus compliqué en Suisse que chez ses voisins européens, éclipse le casse-tête des cédants, souvent considérés comme chanceux. Quelque 40% de Suisses finissent, à un âge moyen de 37 ans bien au-dessus de la moyenne européenne, par devenir propriétaires. Le revers de la médaille est que, logiquement, le nombre de transactions par habitant est, toujours en moyenne, faible – 0,7, soit, rapporté au nombre de Suisses propriétaires, de l’ordre de deux au cours d’une vie. La vente d’un bien représente par conséquent un événement rare et important pour leur propriétaire, quelle que soit la raison qui la motive (certaines pouvant se cumuler) : agrandissement, succession, divorce ou encore difficultés financières. Dans tous les cas, les vendeurs ont le choix : se charger eux-mêmes de la vente ou faire appel à un courtier, la solution que 90% d’entre eux retiennent.
Alors que la logique d’un acheteur d’une propriété est simple – il suffit de lire des annonces immobilières sur les plateformes –, celle d’un vendeur se révèle infiniment plus compliquée. Non qu’il ne soit régulièrement assailli de propositions d’estimation de son bien par les régies ni courtisé par une nuée de courtiers représentant des enseignes plus ou moins prestigieuses, mais il se trouve in fine seul face au dilemme central : quel est le juste prix de mon bien ? En effet, la plupart des courtiers leur disent ce qu’ils veulent entendre.
Pourquoi ? Parce que les vendeurs veulent, légitimement, vendre au meilleur prix. Or, déplore Patrice Choffat, fondateur et directeur général de Bestag, une plateforme lancée fin 2017 qui permet aux vendeurs de comparer les courtiers immobiliers, « il est moins rare qu’on ne le croit qu’un courtier travaille contre son client. Après avoir accepté un prix trop élevé pour flatter le vendeur et décrocher le mandat, il le presse d’accepter une offre plus basse, parfois même trop basse. Sa logique, prendre une commission même légèrement réduite mais rapidement, s’oppose aux intérêts du vendeur, surtout si ce dernier a une hypothèque. » Ce contre-sens économique, qui se vérifie souvent selon l’expert, résulte de deux facteurs clés dans la profession de courtier.
Le premier est celui de l’acquisition de nouveaux biens à vendre. « L’acquisition, c’est le problème numéro un du courtier. Petites ou grandes, toutes les entreprises de courtage, sans exception, font face à ce défi. Qu’elles soient une enseigne installée dans le paysage immobilier, ou qu’elles aient une marque forte ne change que peu la donne. Pour la simple et bonne raison que c’est là que réside toute la difficulté du métier. » Or, souligne Patrice Choffat, si les courtiers savent tous, plus ou moins bien, exécuter un mandat – prendre des photos, constituer un dossier, le publier ubi et orbi –, peu nombreux sont ceux qui ont la profonde connaissance de leur marché nécessaire pour se distinguer de la cohorte de profils généralistes. Ces derniers sont bien plus à l’aise dans l’exécution d’un mandat que dans la recherche et l’acquisition. « Même s’ils se vantent d’être spécialisés, la réalité est que l’immense majorité de la profession touche à tout, parce qu’elle a besoin de vivre. »
Le deuxième point tient au modèle d’affaires des courtiers traditionnels, que le patron de Bestag résume ainsi : « pas de mandat, pas de revenus. » Ainsi, tout le temps que passent ces derniers dans la recherche de biens, ils le répercutent dans leurs frais de prestations, en plus des coûts fixes qui pèsent sur leurs épaules, même pour ceux qui ne font pas partie de grands réseaux. « Le modèle économique du courtage traditionnel est au cœur de ses dérives et des fausses promesses faites aux vendeurs : afin de lisser leurs revenus dans la durée, parce que le temps de l’acquisition est souvent long, le courtier facture cher pour compenser les périodes de creux. » Sans compter qu’il a intérêt à vendre le plus vite possible, ce qui peut jouer contre les intérêts du vendeur, qui subit une double peine.
La prolifération de plateformes n’a pas vraiment changé la donne. Celles-ci ont certes simplifié la vie des vendeurs, comme des acheteurs, et exercé une pression baissière sur les frais de courtage. « Low cost » ou plus haut de gamme, la première génération n’a pas mis fin aux failles du courtage traditionnel et à leurs conséquences pour les vendeurs. Qu’ils paient des sommes modiques pour pouvoir placer leur annonce sur les plus grandes d’entre elles, qui représentent une grande majorité des offres (homegate.ch ou immoScout24.ch pour ne citer qu’elles), ou un forfait plus conséquent pour un service de commercialisation, sans pour autant garantir la vente (neho.ch par exemple), ils n’ont toujours pas l’assurance que leur bien sera estimé ni vendu au meilleur prix possible.
Pour la bonne et simple raison que, si la forme a évolué, la philosophie est restée la même. « La seule solution pour éviter les défauts inhérents au système historique du courtage immobilier consiste à mettre en place un processus qui garantisse le prix le plus juste possible », estime Patrice Choffat. Lequel est souvent différent de celui qu’estime le vendeur. Objectiver les critères de valorisation d’une propriété est au cœur de notre vision du métier. Nous travaillons d’abord pour les vendeurs, ensuite pour les courtiers. » Pour le porte-parole d’une nouvelle génération de plateformes, qui ne se contentent pas de consolider les annonces immobilières en transposant l’ancien modèle sur des versions en ligne, la mise en concurrence des courtiers est la clé de la protection des vendeurs.
Celle-ci est rendue possible par un système de sélection fondé sur des algorithmes puissants qui scrutent la performance des courtiers selon une liste de critères – géographiques, nombre de transactions effectuées, écart entre le prix affiché et le prix réalisé, …
« Notre approche consiste à mettre les courtiers en concurrence, tout en leur ôtant leur épine chronique : l’acquisition. Ils cessent d’être motivés par une vente rapide et contre-productive pour leurs clients, car s’ils le font, ils sont pénalisés par un malus qui peut aller jusqu’à 15% du montant de leur commission en cas de différence entre le prix de vente et l’estimation. À l’inverse, s’ils vendent plus cher que le prix que nous avons établi, ils peuvent toucher un bonus pouvant aller jusqu’à 15% de la différence entre le prix de vente et l’estimation. Comme base avant l’application du bonus/malus, nous recommandons de fixer la commission au taux usuel du marché, soit 3% dans la plupart de la Suisse Romande. »
Ce changement de paradigme, qui incite les courtiers à vendre au juste prix et non à se débarrasser au plus vite d’un bien, présage d’une évolution majeure de la profession, au détriment du modèle ancien. Sébastien Page, professionnel de l’immobilier, s’inscrit dans cette révolution. Il a fondé Swifthome, une plateforme immobilière implantée sur l’Arc lémanique et en Valais créée en 2020, qui garantit l’achat d’une propriété en l’état et en quinze jours. « Nous valorisons les propriétés à leur juste valeur, et les mettons sur le marché avec une décote de 10 à 15%, ce qui revient entre 8 et 12% au vendeur par rapport à un courtier traditionnel qui lui prendrait 3%. En une visite, un bien est vendu. » C’est sur ce point que nous nous différencions. » La solution s’adresse à des vendeurs pressés : « Nos clients sont assurés de toucher les revenus de la vente dans les délais qu’ils avaient fixés au départ, quelque vétuste soit l’objet. C’est un point crucial, car nombreux sont ceux qui doivent réaliser une vente pour acquérir leur prochain bien. S’ils n’ont pas vendu assez vite, nous leur permettons, grâce à des contrats à terme, de financer leur prochain achat immobilier. » Parmi la clientèle de Swifthome, « beaucoup sont des héritiers : ils aspirent à la solution la plus facile, sans travaux ni autre complication, pour vendre un bien qui leur tombe du ciel. Ils acceptent logiquement une décote sur le prix tout en bénéficiant de conditions de vente très favorables car rapides. »
L’émergence de solutions disruptives, qui alignent les intérêts des vendeurs et des professionnels, fait souffler un vent de liberté dans le monde de l’immobilier. Un secteur toujours très prisé des investisseurs face à un **marché aujourd’hui équilibré : peu d’objets à vendre, des prix élevés partout, des taux de vacances très bas, de moins en moins d’acheteurs potentiels, conclut Sébastien Page. »
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