Peut-être cela vous aura-t-il échappé ? L’année 2010 fut celle du numérique. Enfin plus précisément celle d’un livre numérique qui, chez nous, n’en est pourtant qu’à ses balbutiements.
Après une période d’attente causée par la curiosité anxieuse des professionnels du livre, la cohabitation s’amorce enfin entre le livre au format papier et sa version électronique. Quitte à voir le second dépasser le premier, et finir par l’enterrer définitivement ? Rien n’est moins sûr…
Amazon et son Kindle, Sony, Apple et bientôt Google prétendent offrir une technologie assez puissante pour que le lecteur délaisse dorénavant le vieil ouvrage imprimé. Juste quelques chiffres pour rendre compte d’un engouement exceptionnel : aux Etats-Unis le livre numérique représente 8 à 10% du marché depuis trois à quatre ans, quand chez nous il s’échelonnait jusqu’au début de l’année 2010 autour des 1%.
Le Kindle, sorte de porte-étendard du format numérique aux Etats-Unis, a été écoulé à plus de 8 millions d’exemplaires en 2010. Amazon court-circuite le lien qui unit traditionnellement la chaîne auteur/éditeur/libraire, en lui substituant une logique de marché à flux tendus. Les critiques affluent : Amazon ou Google souhaitent traiter directement avec l’auteur, en lui promettant une marge que l’éditeur n’est pas en mesure de soutenir.
En début d’année dernière, la proposition de Jeff Bezos, PDG d’Amazon de garantir 70% du prix de vente d’un livre à son auteur avait créé comme une onde de choc. Surenchère destinée à contrer la concurrence de Google et d’Apple, et à charmer les futurs bénéficiaires, elle constitue surtout un «coup de massue» pour les éditeurs…
Le livre numérique a de plus l’avantage de pouvoir être rapidement consultable par les lecteurs, pouvant rassembler sur une seule tablette un contenu de plusieurs milliers d’ouvrages, être immédiatement téléchargeable et vendu pour un prix fortement réduit : presque 50% par rapport au prix en librairie, contournant ainsi le système classique de diffusion. Face à cette perspective, libraires et éditeurs sont renvoyés à leur néant ou dans l’obligation de s’adapter et de s’ouvrir à ce marché.
Par exemple, l’Office du livre (OLF), plus grand distributeur de livres en Suisse, a crée en 2010 le site e-readers.ch. Mettant à disposition 30’000 références à ce jour et associé à des maisons d’édition suisses ou françaises, il prétend soutenir la diversité des formes littéraires en anticipant une éventuelle désaffection des librairies. Ainsi, en piochant le livre numérique de son choix parmi les références proposées, chaque internaute reverse par son achat une commission de 25% sur le prix de vente à la librairie la plus proche de son domicile.
L’incertitude demeure toutefois pour les professionnels du livre, même si l’attachement envers le livre imprimé n’est pas encore prêt de faiblir. Face aux géants du marché numérique la sauvegarde du format papier ou l’adaptation du marché suisse au format électronique constituent des défis stimulants, mais pas gagnés d’avance. Il en va de la subsistance des librairies, et des éditeurs.
La lecture est une affaire de passionnés. Désir de raconter, notamment aux plus petits que l’on imagine mal s’émerveiller autant face à une tablette numérique que face à un vrai livre rempli d’images, désir de faire des petits plis en haut des pages pour s’y retrouver la fois d’après, ou d’en froisser la corne, désir aussi de les classer dans une bibliothèque…Tout dépendra peut-être de la passion pour les livres. Par les livres, j’entends les vrais, ceux qui imprègnent quelquefois la chambre ou le salon d’une légère odeur de papier vieilli… Car, comme l’écrivait Henry Miller, «ils étaient vivants et ils m’ont parlé »…
Faustin Rollinat/Rédacteur chez Le Monde Economique