LE CANAPE EST PLUS PROFOND QU’ON NE LE PENSE

8 avril 2018

LE CANAPE EST PLUS PROFOND QU’ON NE LE PENSE

Quelques réflexions sur la promotion-canapé après « l’affaire Weinstein ».

Le tourbillon d’indignation déclenché par « l’affaire Weinstein » il y a quelques mois a soulevé des interrogations et des réflexions sur lesquelles on préférait ne pas s’appesantir beaucoup avant. Contrainte et harcèlement, rapports forcés, case « canapé » – depuis Me Too, tous ces problèmes ressortent à la surface avec une gravité accrue.

Parmi eux – le « canapé » en question. Un canapé beaucoup plus moelleux et extensible qu’on ne le pense d’ordinaire. Et plus profond aussi. Du coup, il serait pertinent, quand on aborde ce problème, de le traiter en profondeur – d’y voir le lieu d’interactions complexes où les intérêts divers s’imbriquent et les responsabilités se mêlent.

Le « canapé » en question abrite divers types d’agissements, l’enjeu étant, dans tous les cas, la promotion dans l’entreprise. Ces cas vont des rapports mutuellement assumés au harcèlement et la contrainte, pratique malheureusement très répandue, abus flagrant, ouvertement et sans appel blâmable. Dans le reste des cas, le « canapé » est une réalité bien ambiguë. Pouvoir masculin et séduction féminine s’y donnent rendez-vous et il est difficile de dire qui profite davantage et instrumentalise plus l’autre.

Le canapé, côté féminin.

Le large éventail des motivations féminines va du cynisme profiteur au romantisme le plus pur et le plus fleur bleue, en passant par la fascination de la figure du chef qui à son tour n’est pas très étrangère au sentiment amoureux. L’amour sincère n’est donc pas du tout exclu dans cette sorte de relations et même s’il est le plus souvent unilatéral, il est un motif puissant pour la femme de s’attarder au « canapé ». D’où pas mal de déceptions, ces attentes émotionnelles ne pouvant pas toujours trouver la concrétisation voulue auprès d’un partenaire qui le plus souvent est loin d’envisager une relation à long terme, un engagement en dehors des heures de travail.

Mais il y a aussi une motivation spécifique de « fréquenter » le canapé : au-delà même de toute croissance hiérarchique, le seul statut de « favorite » du chef et de maîtresse en titre est susceptible de procurer une supériorité psychologique sur les autres qui peut parfois être plus grande que l’impact d’une ascension accélérée des échelons. C’est ce que recherchent pas mal de femmes : être enveloppées de cette aura un brin scabreuse d’« élue » leur donne un pouvoir invisible qui subjugue et conquiert d’une manière particulière.

L’Affaire Weinstein : quand une colère peut en cacher une autre.

Pour retourner à l’« affaire Weinstein » et sans remettre en cause les accusations contre les abus commis par le producteur hollywoodien, notons la complexité de la situation : les méfaits avaient été perpétrés depuis longtemps et pendant des années, mais on en parle seulement maintenant. La question persiste de savoir pourquoi le « silence des agneaux » avait été si long ? Pourquoi toutes ces comédiennes qui à l’époque étaient jeunes et belles et avaient besoin de promotion se taisaient-elles sur les agissements de Harvey Weinstein pour n’en parler seulement que maintenant ? Même basé, dans sa grande partie, sur une colère juste, le tourbillon soulevé par l’affaire autour du producteur n’est-il pas un moyen pour quelques stars de redorer un blason un peu terni par les années ?

Mais, encore une fois, la part de la juste colère est grande dans l’affaire Weinstein. Et même s’il y a une aspiration secrète à une ultime promotion, elle serait compréhensible de la part de ces quelques stars de plus de quarante-cinq ans : alors que le monde change, la vie s’allonge et la place de la femme, quel que soit son âge, se fait de plus en plus importante dans la société, Hollywood et le cinéma contemporain rebutent toujours de refléter ces nouvelles réalités. La figure de la femme qui s’épanouit au- delà de sa quarantaine et de celle qui se trouve à des positions dirigeantes dans l’entreprise et dans la société est largement ignorée (sauf si elle doit être critiquée ou ironisée) par les producteurs et réalisateurs de films. Ceux-ci préfèrent cantonner « le sexe faible » au registre étroit des rôles clichéisés menant de la jeune séductrice à la mamie aimante ou excentrique (c’est selon) et en passant par l’intello middle age passablement coincée.

Une vision aussi stéréotypée et réductrice est tout aussi humiliante et digne de colère que les agissements du producteur Weinstein. Mais même au-delà du monde du cinéma, les stéréotypes persistent, et le « canapé » est bien l’un d’eux : chaque fois qu’une femme rencontre le succès, on la soupçonne d’être en « relations » avec son chef. Ce qui, dans la plus grande partie des cas, est faux : dans un monde où les exigences ne cessent de croître, la réussite – la vraie, la seule qui dure – n’est due qu’aux compétences réelles et à un professionnalisme qui fait sans cesse ses preuves.

 

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