Depuis que le capital client est devenu l’un des critères de l’évaluation de la valeur boursière d’une entreprise (comme le remarquent des spécialistes dont Jamil Hebali), sa Majesté le Client a encore plus sensiblement affermi sa royauté. Il est recherché par tous les moyens possibles, sa personne se trouve courtisée de toutes parts, ses exigences et ses goûts – flattés, exaltés. Le dicton « Le client a toujours raison » vit, quant à lui, son âge d’or. Plus que jamais, d’autre part, les liens qui lient le consommateur au producteur et au distributeur ont un caractère affectif. Tout en restant dans la logique du « capital client », on traite ce dernier comme une personne que l’on affectionne, dont on prend soin et dont on fait l’objet de mille prévenances.
Cette dimension est devenue la plus importante dans la relation complexe et multidimensionnelle qui s’est instaurée entre le client et les acteurs principaux du processus de production- vente. L’accroissement de la part de l’affectif dans le marketing relationnel est dû en grande partie aux changements amenés par l’Internet et qui permettent désormais un affinement et une notable personnalisation de la relation client. Le système de la correspondance email et la mise en ligne de sites web ont en effet révolutionné cette relation et, rendant possible un contact direct et nominal (on s’adresse au client par son nom), ont instauré une sorte de partenariat convivial avec les protagonistes de la consommation.
Dans nos sociétés individualistes où la frustration et la solitude sont le lot de beaucoup de gens, et surtout des seniors, cette convivialité est appréciée à sa juste valeur et ceci – même si l’on reste très lucide quant à son caractère parfaitement intéressé. Des milliers de gens sont reconnaissants pour la relation que le producteur ou le distributeur établit avec eux et où leurs désirs et attentes se trouvent écoutés et valorisés. Et au fond, tout compte fait, l’amour humain, même celui que l’on considère comme le plus « pur », n’est-il pas toujours quelque peu intéressé ?…
Mais si elle flatte l’ego de la plupart des gens, l’exaltation du « client- roi » a ses revers qu’il est parfois difficile d’ignorer. La formule elle-même de « client- roi » est une manière gentille de rappeler que des éléments d’exploitation persistent encore dans nos sociétés développées et (post)modernes. Malgré la consolation que cette formule apporte aux exploités dont elle fait à leur tour des rois – puisque eux- mêmes des clients – le fait est que l’asservissement des salariés aux moindres caprices des consommateurs est devenu encore plus sensible ces derniers temps. De roi, le client est devenu un monarque absolu. Alors faut-il s’étonner si l’ombre de la guillotine plane déjà sur sa tête fièrement couronnée ?
Mais non ! rassurons – nous, nous tous qui sommes clients (et nous le sommes tous – un vrai peuple de clients !) : pour l’instant, la guillotine attend le citoyen consommateur seulement sur le site de IntegralPersonality d’où, d’autre part, partent des coups de gueule tout aussi hérétiques que : « Si le client est roi, qu’est l’employé ? Un sujet ? Un esclave ? ». Des exemples d’entreprises allant à contre- courant du slogan du jour, de l’inévitable “le- client- est- roi », sont donnés : en premier lieu la chaîne des hôtels de luxe Ritz- Carlton qui considèrent leurs employés comme « des dames et des gentlemen qui servent des dames et des gentlemen ». On part du principe qu’il est « plus facile de traiter son client comme un gentleman quand on est traité soi-même comme tel ». Octo Tecnology, entreprise classée première en 2010 des Great Places to Work en France dans la catégorie des entreprises de moins de 500 salariés, va encore plus loin et, défiant le « client- roi », proclame : « Employee first, customer second… ce qui n’empêche pas nos clients d’être satisfaits. »
Dessy Damianova/Rédactrice chez Le Monde Economique