Le dilemme de l’innovateur vs le phénomène de l’innovateur

8 décembre 2021

Le dilemme de l’innovateur vs le phénomène de l’innovateur

Introduction

La mise en œuvre de la stratégie des entreprises établies reste caractérisée par l’incapacité de maîtriser -certains diront même de comprendre- les choix disponibles. Elle fait notamment apparaître des relations non résolues entre [1] des combinaisons technico-technologiques, [2] économiques et [3] sociales qui s’agrègent par exemple sous la forme d’un produit. L’un des problèmes de notre temps est d’identifier une hiérarchie parmi ces derniers et d’articuler une prescription logique. En fait, une partie croissante des décideurs reconnaissent que l’innovation de rupture provient d’une composante technico-technologique; mais son identification reste une question non résolue. Au même niveau de réflexion, le principe de capacité organisationnelle fait consensus auprès des décideurs pour élaborer des stratégies économiques; pourtant les commentaires persistent sur leurs dimensions abstraites.

Nous proposons d’unifier les deux sujets, en augmentant le répertoire des capacités organisationnelles avec une capacité organisationnelle de rupture. Dans un premier temps, il s’agira d’isoler méthodologiquement le périmètre des connaissances dédiées à cette dimension du changement. Cela clarifiera mécaniquement la classification des informations parmi chaque capacité organisationnelle, et augmentera leurs robustesses en 4 buts principaux: établir, modifier, substituer, reconfigurer. Concrètement, nous proposons de construire la capacité organisationnelle de niveau zéro c’est-à-dire « l’avantage concurrentiel historique de la firme », puis la capacité ordinaire qui « modifie, dans ses bonnes pratiques », puis la capacité dynamique qui « la substitue, pour la transformer » et enfin la capacité organisationnelle de l’innovation de rupture « qui la reconfigure ». Enfin et surtout, ce répertoire élargi révélera, à chaque conseil d’administration, une logique systémique appartenant au phénomène économique de sa firme.

Méthodes unifiées 

1. Sur le front technico-technologique, Clayton Christensen (1997) a démontré que « des entreprises exceptionnelles peuvent tout faire « bien » et pourtant perdre leur leadership sur le marché – ou même disparaître  – lorsque de nouveaux concurrents inattendus apparaissent et prennent le contrôle du marché. 

2. Sur le plan organisationnel, David Teece (1997, 2017) soutient que la fonction de production est assez stérile et a démontré que  cette « impasse intellectuelle » pouvait être évitée en bâtissant des capacités organisationnelles. De manière sommaire, les ressources matérielles et immatérielles de l’entreprise, notamment mais pas uniquement, s’organisent en capacités organisationnelles. Ainsi, les capacités ordinaires permettent « de bien faire les choses » (efficacité) et les capacités dynamiques « de faire la bonne chose » (innovation) (David Teece).

3. Les deux théories bénéficient d’un consensus et d’une admiration, même si elles sont qualifiées « d’abstraites » « avec une utilité limitée ». En fait, les praticiens s’accordent sur les deux, mais estiment qu’ils n’ont pas d’éléments quantifiables suffisants pour les mettre en œuvre. Dans les faits, les deux principes appartiennent au même mécanisme et font donc tous deux partie de la solution. 

Capacité organisationnelle d’innovation de rupture = chemin de dépendance

4. Concernant la théorie de l’innovation de rupture, nous sommes désormais habitués à ce que « l’entrepreneur chanceux » puisse reprendre le marché à l’entreprise établie. Techniquement parlant, cela signifie que nous pouvons trouver un continuum, mais économiquement, il y a un changement de propriété. Le processus se ré invente à partir du chemin de dépendance, avec de « nouvelles mains de compétences », organisées « contre » l’entreprise établie (Christensen, 1998). Schumpeter nous disait déjà en 1934 « que le parfait économique et le parfait technologique n’ont pas besoin, et pourtant très souvent, divergent, non seulement à cause de l’ignorance et de l’indolence, mais parce que les méthodes utilisées sont technologiquement inférieures […]. À ce stade, l’élément économique contraste fortement avec l’élément technologique ».

5. En ce qui concerne la théorie des capacités organisationnelles, des chercheurs comme Ambrosini et Bowman (2008) soutiennent que « bien que de nombreux domaines traitent des problèmes liés au changement (par exemple, l’apprentissage organisationnel, la cognition, l’innovation…) seules les capacités organisationnelles permettent une absorption idoine des connaissances pour les transformer en instrument et cela de manière persistante ». Pour autant, Nelson et Winter (2002) nous ont alertés qu’une application répétitive des capacités organisationnelles semble détenir un secret, un sens opaque qui est piégé dans l’étrange. « Les vrais acteurs n’ont tout simplement pas les vastes pouvoirs de calcul et cognitifs qui leur sont attribués par les théories basées sur l’optimisation. Les décisions défient les principes de base de la rationalité et frisent parfois le bizarre ». La capacité organisationnelle de rupture « au cœur de l’innovation » vise à débloquer le bizarre philosophique.

6. A titre de conclusion partielle, la réalité économique n’exécute pas nécessairement les méthodes jusqu’à leur conclusion logique et avec une complétude technologique, mais subordonne l’exécution aux points de vue économiques (Schumpeter, 1934). Ainsi, les capacités organisationnelles de niveau zéro, ordinaires et dynamiques sont de nature économique et la capacité organisationnelle de rupture est technique. Pour éviter de tomber entre les mains d’un entrepreneur chanceux, les praticiens doivent surmonter cette séquence bizarre en isolant la capacité organisationnelle de rupture.

L’imbrication de toutes les capacités organisationnelles élabore un phénomène économique unique

7. Selon Nelson et Winter, les stratégies d’une entreprise peuvent inclure un état stable ou un ensemble d’entre eux. Mais les décisions ne dépendent pas de l’atteinte de l’état d’équilibre. [Au contraire], les modélisateurs cherchent à analyser des comportements et des phénomènes hors de l’équilibre. Edmund Hesser (1859-1938) parle de « conscience pure » ​​qui peut être atteinte par « réduction phénoménale » ; une méthode par laquelle toutes les connaissances factuelles et les hypothèses raisonnées sur un phénomène sont mises de côté afin que l’intuition pure puisse être analysée.

8. C’est là que le dilemme de l’innovation de rupture s’articule dans son phénomène économique. En effet, la capacité organisationnelle de rupture est la dernière étape d’un processus économique long. Ainsi, les quatre réunies chronologiquement construisent et permettent l’aboutissement d’un phénomène économique comprenant la capacité organisationnelle niveau zéro [Nelson and Winter, 2002], ordinaire et dynamique [Teece, 1997-2021] et de capacité organisationnelle de rupture [Chenevier, 2021], -également ce que Collis (1994) appelle ad infinitum-. 

9. A cette jonction, le dilemme de l’innovation se confond dans le phénomène économique. Ce nouveau répertoire vise à aider, anticiper et déjouer la destinée de « la dernière chose ». 

© A.Chenevier

Alex Chenevier, Professeur de stratégies en innovation

Spécialiste de l’innovation discontinue : Conseiller extérieur de la thèse, David Teece 

Fondateur de Managitech : Organise des formations intra entreprises selon deux séquences d’opérationnalisation : [1] Rendez-vous téléphonique gratuit pour un recueil analytique méthodologique, [2] préparatif à une journée d’initialisation au renouvèlement d’un modèle économique où les différences seront organisées méthodologiquement et le cas échéant articulables répétitivement. Merci de nous contacter par email pour solliciter un appel alex.chenevier@managitech.com.

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