Ravivée par le décès d’une jeune employée, le spectre de la mort par excès de travail refait surface dans l’Archipel. Preuve que des pratiques managériales d’un autre âge sont toujours d’actualité et continuent de faire des victimes.
Le terme karōshi (littéralement mort par surmenage) est apparu dans les années 70 à l’époque où le Japon conquérant sacrifiait des générations d’employés pour se hisser au sommet de l’économie mondiale.
Depuis l’éclatement de la bulle financière, on pouvait s’attendre à ce que le phénomène disparaisse de lui-même. Or, il n’en est rien. Pire, les morts par excès de travail sont reparties à la hausse.
Comment peut-on mourir de trop travailler ?
Chaque année, nombre d’attaques, de dépressions et de suicides sont directement lié au travail.
La tyrannie de certains chefs de service, leur harcèlement moral (voir sexuel) coupler à un manque de sommeil constant font rapidement perdre le sens des réalités, et le sens de la vie en particulier.
En 2015, le gouvernement japonais a officiellement reconnu 93 suicides directement liés au travail. Dans le même temps, les statistiques de la police en dénombrent 2 159 !
Toujours en 2015, ce sont près de 1 500 plaintes qui ont été déposées contre des entreprises par les familles de morts par karôshi.
À chaque fois, les causes sont les mêmes. Dans un pays où la durée légale du travail est de 40 heures par semaine, il n’est pas rare que les employés travaillent l’équivalent de sept semaines en un mois ! (100 heures supplémentaires correspondant à 12,5 jours de travail, soit deux semaines et demi de travail en plus par mois !)
Une étude récente gouvernemental mettait en lumière que 12 % des employés travaillent au moins 100 heures supplémentaires par mois et que 23 % d’entre eux flirtent avec les 80 heures supplémentaires mensuelles !
Ces chiffres ne reflètent la réalité que de 1 743 entreprises sur les milliers que compte l’Archipel ! On peut aisément imaginer que la réalité de millions de salariés est pire. L’étude ne prend pas en compte non plus les cas où les heures supplémentaires ne sont pas rémunérés !).
Comment peut-on accepter de telles conditions de travail ?
Le temps béni où « le travail à vie » était la norme est malheureusement terminé. Derrière ce terme se cachait de généreux C.D.I. avec revalorisation automatique et substantielle du salaire, bonus d’été et d’hiver, avantages sociaux en tous genres…
Désormais, seuls 60 % des salariés bénéficient de tels contrats avantageux. Autant dire que les places sont chères et que nombreux sont ceux prêts à tous les sacrifices pour obtenir le Graal du salarié nippon.
De plus, la culture des longues heures passées au bureau est tenace. Il reste encore mal vu de partir avant son supérieur ou de prendre plus de congés que lui !
Sans compter que le stoïcisme japonais pousse à endurer grand nombre de choses. Souvent, la vie d’un salarié nippon oscille entre carriérisme et masochisme….
Cependant, les choses changent. La moyenne du nombre d’heures travaillées ne cesse de baisser au plan national. Afin de renforcer la tendance, le gouvernement japonais a pris un certain nombre de mesures, telle que la limitation des heures supplémentaires à 100 heures par mois (sic).
De leur côté entreprises et syndicats tentent d’instaurer de nouvelles règles. Certaines coupent le courant dans leur bureau le soir, d’autres proposent la sieste au bureau ou le vendredi après-midi de libre.
Quant à la toute puissante organisation patronale, le Keidanren, elle vient de lancer un appel aux entreprises de limiter les heures supplémentaires. Pas de mesures coercitives, mais un premier pas qui mérite d’être souligné.
Un autre élément du changement, c’est la jeunesse. Cette dernière avide de temps libre est moins encline à tout sacrifier pour le travail. Avec la diminution de la population, les futurs jeunes actifs seront une denrée rare que les firmes s’arracheront. Il faut leur souhaiter que cette inversion de l’offre et de la demande leur permette d’imposer de nouveaux modes de travail dans l’entreprise japonaise.