Une telle aspiration à l’excellence absolue est immanquablement associée à une grande « absorption » de temps. Chronophage, le perfectionnisme l’est de deux manières : d’abord, parce qu’il pousse à fignoler les détails, ce qui, on le sait, demande un surcroît de temps et ensuite parce que, comme Thomas Coëffé (« Le Blog du modérateur ») l’a très bien démontré, le perfectionniste est, dans une grande partie des cas, un procrastinateur avéré. En effet, avec toutes les exigences qu’il s’est lui-même posées et qui sont le plus souvent liées au contenu exhaustif et à la présentation impeccable de son produit final, l’aspirant compulsif à l’excellence, se sentant d’avance écrasé par sa tâche, a tendance à la reporter au lendemain.
Voilà comment, d’une manie gentille, inoffensive et dans certains cas même louable, le perfectionnisme peut se transformer en un facteur de blocage et de non- productivité au travail. Liée elle aussi à la notion de temps et définie comme capacité de réaliser les tâches d’une manière à la fois très satisfaisante et rapide, l’efficacité souffre beaucoup des sursis que s’octroient, soit pour reporter au lendemain, soit au contraire pour continuer à parfaire, les perfectionnistes de tous bords.
Il n’est certes pas facile de travailler en équipe avec ces « pointillistes » du devoir bien accompli, encore moins d’en avoir un comme supérieur hiérarchique ! On peut être sûr de voir les exigences au travail se multiplier par dix et la supervision se renforcer au maximum. A moins que ne se produise plutôt le contraire : en effet, comme ni le partage des tâches, ni la délégation de responsabilités à des subordonnés ne sont du goût des perfectionnistes, toujours méfiants des autres et peu enclins de leur laisser une partie de leur travail, vous pouvez même vous retrouver sans rien à faire, complètement (ou en partie) soulagés, désoeuvrés et libres de vous occuper d’autre chose. Le perfectionniste, qu’il soit votre collègue ou chef, se chargera de vos tâches, sûr de faire beaucoup mieux que vous.
Vous pouvez vous retrouver soit dans l’un soit dans l’autre cas de figure, soit voir votre vie au bureau s’alléger à cause d’un tel collègue, soit au contraire se compliquer et se durcir. Vous pouvez accepter avec joie la situation ainsi créée ou, à l’inverse, la trouver révoltante – révoltante même à cause du désoeuvrement auquel elle peut vous condamner. Mais dans tous les cas, essayez de ne pas juger trop sévèrement le perfectionniste. Plus qu’un maniaque acharné et agressif, c’est une sorte de superstitieux du travail qui, une fois entré dans la logique de l’insatisfaction constante, conçoit les améliorations et les retouches pratiquées interminablement comme une sorte de rites qui le préservent de l’échec. Abandonner ces « rites », accepter de relâcher ses exigences et ses rigueurs signifient pour lui de perdre ses repères, de basculer dans le vide et d’affronter, notamment, l’échec.
Alors, au lieu de juger notre supérieur ou notre collègue dont le profil s’assimile au « perfectionniste », il faut trouver la manière la plus délicate pour le faire (si c’est possible) accepter d’assouplir ses rigueurs et faire quelques concessions au nom de la bonne marche du travail collectif. En même temps, il ne serait pas inutile d’apprendre quelque chose d’un tel collègue. Non pas tout est négatif chez le (la) perfectionniste, loin de là. Sa discipline, son sens des responsabilités et sa patience ne peuvent qu’être exemple pour les autres. Son aspiration à l’excellence aussi, mais… à pratiquer avec modération, si possible.