Dans son dernier rapport sur la politique de croissance 2012-2015 paru récemment, le Conseil fédéral constate une productivité économique médiocre des secteurs orientés vers le marché intérieur helvétique, comparée à celle des autres pays européens. Le diagnostic: un manque de concurrence à l’intérieur du pays, comportant un manque d’incitation à la rationalisation et à l’innovation. La preuve: à l’exportation, où règne une concurrence forte, la productivité est bonne, excellente même dans certaines branches. Si le produit intérieur brut global n’accuse pas cette faible productivité à l’intérieur, c’est que les Suisses travaillent davantage que leurs voisins.
Or, les perspectives à l’exportation se ternissent à cause de la crise de la zone euro. C’est le moment, selon les auteurs du «Rapport», de prendre des mesures pour augmenter la productivité à l’intérieur du pays, dont la plus importante consiste à renforcer la concurrence sur ce marché, nettement plus protégé que les marchés des pays membres de l’Union européenne.
Le Conseil fédéral doit cependant reconnaître que sa marge de manœuvre, dans ce domaine, est assez limitée par les compétences des cantons et des communes dans des secteurs cruciaux. Voilà pourquoi il exige que ces derniers «orientent leur politique cantonale et communale également en fonction des objectifs de croissance» (p. 29 du «Rapport»).
Du fait de ces compétences cantonales et communales, la Suisse offre le tableau d’un paysage économique très compartimenté en ce qui concerne les conditions-cadre pour les entreprises et l’accès de ces dernières aux marchés régionaux et locaux, compartimentation qui fait entrave à la concurrence et n’encourage pas, de ce fait, les entreprises et services qui en profitent à augmenter leur productivité – ce qui renchérit les coûts de production de toute l’économie. Il faut penser là d’une part aux monopoles ou quasi-monopoles de bien de collectivités et entreprises régionales, cantonales et communales, étatiques et paraétatiques, et d’autre part à un phénomène auquel ont s’est tellement habitué qu’on ne le remarque même plus: les fractures linguistiques de la Suisse, qui servent trop souvent de remparts protectionnistes contre les concurrents venant d’autres régions du pays.
Malheureusement, le «Rapport» n’approfondit pas le problème de la compartimentation intérieure du pays, et il ne fait aucune mention des barrières linguistiques, dont l’usage protectionniste a maintes fois été dénoncé, surtout du côté romand, concernant par exemple l’attribution d’ordres aux pme par la Berne fédérale.
Ces pratiques protectionnistes régionales sont très répandues des deux côtés de la Sarine et presque jamais déclarées. Elles ne s’appuient pas nécessairement sur des barrières linguistiques, il y en a d’autres, mais celles-ci constituent le rempart le plus efficace contre la concurrence helvétique «étrangère».
Ces pratiques de cloisonnement sont nocives, il est urgent de les dénoncer et de les éliminer, car elles découragent l’interaction des instances économiques, elles empêchent la coopération des entreprises, le partage des ressources et la mobilité de la main d’oeuvre. Il en résulte des coûts supplémentaires qui réduisent à la fois la marge de manoeuvre des acteurs de l’économie et le pouvoir d’achat des consommateurs. Voilà pourquoi, à l’intérieur du pays, nous produisons trop cher, à productivité réduite.
Il est cependant des patrons d’entreprises romandes orientés vers le marché intérieur qui ont compris qu’en dépassant ces obstacles artificiels et en fonctionnant en bilingue, ils multiplient au moins par trois leur marché potentiel et leur chance de trouver un partenaire valable avec qui partager les ressources les plus coûteuses. Il faut faire un effort, mais le retour sur investissement en vaut presque toujours la chandelle. A l’heure où quasiment tous les secteurs orientés vers les marchés extérieurs sont en recul, tous sauf l’horlogerie, à l’heure où les perspectives économiques au plus long terme ne sont point réjouissantes, il est important de dynamiser le marché intérieur, comme le veut le Rapport de croissance du Conseil fédéral.
Mon conseil? Améliorez la position de votre entreprise sur le marché intérieur en tenant compte du potentiel global, helvétique de celui-ci, et pas seulement de vos opportunités sur les plans régional et cantonal.
Le marché intérieur participe aujourd’hui à plus de 50 pour cent au produit intérieur brut. Ce chiffre est en nette augmentation, vu le recul de la part du secteur de l’exportation. Il s’agit d’un rééquilibrage des facteurs de productivité qui en appelle à une dynamisation du marché intérieur à la quelle il faut participer maintenant pour en profiter demain. Cet appel s’adresse aux entrepreneurs, qui peuvent profiter, pour s’informer, de plateformes telles que le Forum PME/KMU. Il s’agit d’une initiative privée pour le rapprochement des régions sur le plan de l’économie. Le Forum PME/KMU 2012 aura lieu le 8 novembre, au CSEM, à Neuchâtel (www.forum-pme-kmu.ch). Vous pouvez sans autre vous adresser directement à l’auteur de ces lignes (koeppel@koeppelpartner.ch).
Dr. Peter Köppel, Consultant pour le magazine Le Monde Economique et Président du conseil d’administration de Köppel+Partner