Chacun connaît sans doute l’adage suivant: c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Voilà bien une expérience partagée universellement! Il peut être question d’apprendre à jouer du piano, à envoyer un ballon dans le but, à conduire une voiture ou à assumer les tâches propre à son métier avec professionnalisme; dans chacune de ces situations, il s’agit de pratiquer, s’exercer, affiner le mouvement ou la connaissance pour obtenir des résultats de plus en plus probant et un jour être en mesure de dire « je maîtrise ».
Dans un monde économique qui nous conduit à changer plusieurs fois de profession au cours de notre vie, l’expérience se révèle être un « prestataire de formation » aussi (voire plus) important que les écoles. En mettant en place une procédure de validation des acquis, procédure qui permet à tout adulte de faire reconnaître son expérience et valider ses compétences afin d’obtenir un titre reconnu, la confédération reconnaît le principe de l’apprentissage expérientielle et sa pertinence.
La validation des acquis ouvre une voie différente d’accès au titre qui ne nécessite pas le passage par un examen. Les bénéfices pour la personne sont évidents: reconnaissance rapide de son expérience avec à la clé une probable amélioration des conditions salariales et une mobilité professionnelle accrue. Les entreprises ont-elles pour autant avantage à favoriser l’accès d’une telle démarche à leurs employés? Les risques ne rendent-ils pas cette possibilité rédhibitoire? Passons rapidement en revue les risques avant de nous attarder sur les gains pour l’entreprise.
L’employeur qui voit son collaborateur entamer une démarche de validation de ses acquis peut craindre, qu’une fois son titre en poche, celui-ci aille chercher un poste plus attrayant auprès de la concurrence. Cette possibilité n’est pas à exclure mais paraît à court terme peu probable lorsque l’employeur encourage son collaborateur dans sa démarche et lui montre par là qu’il reconnaît implicitement son professionnalisme, voire plus explicitement en lui proposant un salaire adapté à son nouveau titre ou un poste tenant mieux compte de ses compétences. La phrase qui précède désigne l’autre risque fréquemment avancé par les employeurs à savoir celui de devoir faire face à une demande d’augmentation de salaire. Ce risque financier, s’il est bien réel puisqu’à la source de la motivation de bien des personnes s’engageant dans cette voie, devrait trouver une compensation dans les gains que l’entreprise peut espérer en tirer. Ces gains pour l’entreprise peuvent se définir en termes d’image d’une part et de performance d’autre part.
L’image d’une entreprise dépend pour une bonne part de la qualité de son produit. Celle-ci est le fruit d’un travail accompli avec compétence par des collaborateurs. Présenter une entreprise en vantant la compétence et le professionnalisme de ses collaborateurs souligne indirectement la qualité du produit (stratégie bien connue de certains publicitaires). Et il ne s’agit pas, bien entendu, de décrire le parcours de chaque employé, information longue donc inutile, mais d’indiquer le titre qui, aujourd’hui, définit le niveau de compétence de la personne. Favoriser la validation des acquis dans l’entreprise revient ainsi à augmenter, de manière rapide et comparativement peu onéreuse, le nombre de collaborateurs portant le titre officiellement reconnu pour garantir un produit de qualité.
Les supérieurs de personnes ayant acquis un titre par validation des acquis témoignent bien souvent du changement qui s’est opéré chez celles-ci: elles sont devenues plus compétentes! Comment expliquer une telle évolution lorsque l’on sait que la démarche de validation consiste pour l’essentiel, non pas à apprendre, mais à décrire, au-travers d’un dossier puis, parfois, d’un entretien, ce que l’on sait faire? L’on rejoint ici une autre vérité dont on ne mesure pas toujours les implications: le professionnel est celui qui, non seulement sait faire ce qu’on lui demande de faire, mais qui, également, est en mesure d’expliquer comment et pourquoi il fait ce qu’il fait.
Or, si cette capacité de prendre de la distance face à l’action dans une position méta-analytique est peu enseignée dans le cadre des formations, elle est activement sollicitée par le processus même de la validation des acquis. Les candidats à la validation qui se sont penchés de longues heures durant sur leur pratique pour l’expliquer et la démontrer ont, au final, enrichi celle-ci par la capacité à non seulement fonctionner correctement mais à agir de manière ciblée et pertinente en ayant conscience des tenants et des aboutissants de leur action. Et la différence alors sera grande avec ceux de leurs collègues qui se seront présentés à un examen, examen qui consiste à vérifier de manière standardisée des compétences que les candidats peuvent se contenter d’appliquer. C’est bien en forgeant qu’on devient forgeron, mais on est un bon forgeron que lorsqu’on est en mesure d’expliquer à autrui comment forger et pourquoi forger ainsi! De tels forgerons sont d’une richesse inestimable pour les entreprises car ils sont en mesure de réfléchir aux nouvelles situations qui se présentent ou de transmettre leur expérience à autrui.
Consultante pour le cabinet conseil cbva SA, Claudia Schweizer collabore avec Le Monde Economique en qualité d’experte